Pour passer du premier groupe de thèmes au deuxième groupe de thèmes

Pour passer d’un groupe à l’autre, Mozart semble avoir quelques préférences. D’abord, il est bon de constater que parmi tous les mouvements analysés, tous articulaient une demi-cadence juste avant l’entrée du deuxième groupe de thèmes (sauf deux exceptions). Mais voyons de plus près ce fameux passage, à savoir : comment la demi-cadence est amenée, quel est l’endroit de la modulation et les pivots préconisés, et enfin, comment introduit-on le fameux deuxième groupe de thèmes.

Comme mentionné précédemment, certaines sonates comportent des ponts entre les deux groupes de thèmes, certaines autres des transitions, et d’autres encore, rien du tout. Pour des exemples d’extraits musicaux, retournez quelques pages en arrière (aux pages 5 et 6, pour être plus précise) et admirez les exemples 4 à 6.

Voici donc, à votre bon plaisir, un petit tableau regroupant les sonates entre elles, selon qu’on y voit un pont, une transition, ou bien rien du tout, entre les deux groupes de thèmes de l’exposition :

Un pont!

Une transition!

Rien du tout!

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt III

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvts I et II

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvts I et II

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt III

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvts I et III

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt I

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt II

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt I

Sonate no4 en mib majeur (K.282), mvt III

Sonate no4 en mib majeur (K.282), mvt I

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt I

Sonate no6 en ré majeur (K.284), mvt I

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt II

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt II

Sonate no9 en la mineur (K.310), mvt II

Sonate no7 en do majeur (K.309), mvt I (le pont est suivi d’un épisode de transition)

Sonate no18 en ré majeur (K.576), mvts I et III

Sonate no16 en do majeur (K.545), mvt I

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt II

 

 

Sonate no9 en la mineur (K.310), mvt I (le pont est suivi d’un épisode de transition)

 

 

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt III

 

 

Sonate no12 en fa majeur (K.332), mvts I, II et III

 

 

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt I

 

 

Sonate no14 en do mineur (K.457), mvt I

 

 

Sonate no15 en do mineur (K.533), mvts I et II

 

 

Sonate no17 en sib majeur (K.570), mvt I

 

 

 

On voit bien, par ce tableau, que la quantité de mouvements qui utilisent des ponts modulant est presque égale à la quantité de mouvements qui n'en utilisent pas; en fait, contre dix-sept mouvements avec pont, seize mouvements n’en ont pas.

Vous raffolez des tableaux? Eh bien en voilà un autre! Celui-ci montre plutôt la typologie des demi-cadences avant les deuxièmes groupes de thèmes dans l’exposition de mouvements de forme sonate chez Mozart (l’arbre est dans ses feuilles, mari-londe, marilé…)

Demi-cadences amenées
par V de V – V

Demi-cadences amenées
par I 6/4 – V, double appogiature

Demi-cadences amenées
par I-V (ou IV-V)

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt II

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt I

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt III

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt III

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt I

Sonate no6 en ré majeur (K.284), mvt I (suivi d’un très long passage en tierces parallèles)

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt I

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt II

Sonate no7 en do majeur (K.309), mvt I (IV – V plutôt que I – V )

Sonate no4 en mib majeur (K.282), mvt I

Sonate no4 en mib majeur (K.282), mvt III

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt I

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt III

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt II

Sonate no9 en la mineur (K.310), mvt I

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt I

Sonate no9 en la mineur (K.310), mvt II

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt III

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt II

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt I

Sonate no12 en fa majeur (K.332), mvts I et III

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt I

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt II (avec un V de V)

Sonate no17 en sib majeur (K.570), mvt I

Sonate no14 en do mineur (K.457), mvt I

Sonate no15 en do mineur (K.533), mvt II

Sonate no18 en ré majeur (K.576), mvt I et III

Sonate no15 en do mineur (K.533), mvt I

 

 

Sonate no16 en do majeur (K.545), mvt I (avec broderies sur I 6/4)

 

 

Ouf, prenons une pause de tableau pour un petit moment. Parlons-en, de ces fameuses demi-cadences. L’emploi de demi-cadence avant le deuxième groupe de thèmes (dans l’exposition, on s’entend!) est quasiment systématique. Les seules deux exceptions rencontrées sont les suivantes :


Exemple 16 : Sonate no2, K.280, en fa majeur, deuxième mouvement (mesures 6 à 12)

Dans ce mouvement de sonate, le premier groupe de thèmes est clos par une cadence parfaite. L’emploi d’une telle cadence plutôt qu’une demi-cadence est facilement explicable; contrairement à la bonne majorité des sonates, le mouvement est en mineur, et le second groupe de thèmes est d’abord exposé dans le relatif majeur, et non à la dominante. Étant donné que le mouvement ne présente pas de pont modulant, une cadence parfaite s’imposait (à moins de faire le joint entre les deux groupes avec un pivot « V = V9 sur la tierce de I », mais Mozart ne va pas jusqu’à oser une telle chose dans une exposition de sonate – il garde de tels pivots pour les développements).

Seconde exception :

Exemple 17

Sonate no12, K. 332, en fa majeur, deuxième mouvement

(mesures 1 à 8)

Comparez le début du pont avec le début du premier thème...

 

On pourra pardonner à Mozart d’avoir fait changement quant à ses constantes pour ce mouvement de sonate. Une demi-cadence aurait été fort possible dans ce contexte, mais il s’agit ici probablement de l’une des plus belles modulations des sonates pour piano de Mozart, et il aurait été dommage de gâcher la magnifique tierce de picardie (engendrée par un superbe emprunt au mode mineur) qui entame le deuxième groupe de thèmes…

Pour ce qui est des constantes, on peut se pencher sur certains exemples éloquents des trois types de demi-cadences, soit la demi-cadence comportant un V de V – V, amenée par une double appogiature I 6/4 – V, et enfin, un simple I – V .

Exemple 18

Sonate no15 (K. 533) en fa majeur, premier mouvement, mesures 35 à 44.

 

Exemple de demi-cadence amenée par un V de V – V.

 

 

Exemple 19

Sonate no4 (K. 282) en mi bémol majeur, troisième mouvement, mesures 1 à 12

 

Exemple de demi-cadence amenée par une double appogiature I 6/4 - V

 

Exemple 20

Sonate no 8 (K. 311) en ré majeur, premier mouvement, mesures 9 à 19

Exemple de demi-cadences amenées par I-V.

 

Notez la nuance : on peut aussi considérer les mesures 13 à 16 comme un long V, amené par un V de V. La plupart des demi-cadences classées selon le critère « I-V » sont aussi précédées par un V de V.

Autre constante, concernant ces demi-cadences : il est de l’habitude de Mozart de débuter le deuxième groupe de thèmes par un petit geste mélodique, parfois très court. Ce petit trait mélodique fait parfois partie du deuxième groupe de thèmes, souvent en anacrouse, parfois il n’est que décoration; par exemple, avec un deuxième groupe de thèmes qui commence par une phrase construite avec un antécédent et un conséquent, le geste mélodique fera partie du thème lorsque celui-ci sera répété dans le conséquent. Autrement, le petit trait mélodique n’est qu’ornemental, comme pour marquer l’arrivée du deuxième groupe de thèmes en caractère gras. Afin d’alléger le texte et d’éviter la confusion, appelons ce petit trait mélodique pré-deuxième-groupe-de-thèmes un « flafla ».

À noter, cependant, il arrive parfois que ce petit flafla ne soit pas anacrousique, selon la manière avec laquelle il est articulé. On l’entendra parfois comme une continuité de ce qui précède, plutôt que comme une anticipation de ce qui vient. Examinons quelques exemples pour faire le ménage dans tout ça :

Exemple 21

Sonate no15 (K.533) en fa majeur, premier mouvement, mesures 40 à 49.

 

Exemple de geste anacrousique (flafla) qui fait partie du deuxième groupe de thèmes.

 

Exemple 22

Sonate no7 (K.309) en do majeur, premier mouvement, mesures 29 à 42.

 

Exemple de flafla qui ne fait pas partie du deuxième groupe de thèmes, sur le plan mélodique (pour cette catégorie, la plupart du temps, il s’agit d’une anacrouse de l’accompagnement de la main gauche).

Exemple 23

Sonate no12 (K. 332) en fa majeur, troisième mouvement, mesures 47 à 55

 

Exemple de flafla qui se veut davantage un joint entre les deux sections; il n’est pas un geste anacrousique.

 

Exemple 24

Sonate no5 (K. 283) en sol majeur, premier mouvement, mesures 17 à 25.

 

Exemple d’exposition du deuxième groupe de thèmes sans flafla.

 

Ah, oui, je le savais bien, vous voulez un tableau pour tous les classer… je sens en vous l’appel du tableau, eh bien qu’à cela ne tienne : en voici un juste pour vous, cher lecteur!

Flaflas anacrousiques qui ne font pas partie du 2e groupe de thèmes

Flaflas anacrousiques qui font partie du 2e groupe de thèmes

Flafla non-anacrousiques (joint entre deux parties de l’exposition)

Pas de flafla

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt II (mes. 10)

Sonate no1 en do majeur (K.279), mvt 1 (mes. 16) et mvt III (mes. 22)

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt II

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt II

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt II (mes. 26)

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt I (mes. 27)

Sonate no12 en fa majeur (K.332), mvt III (mes. 49)

Sonate no4 en mib majeur (K.282), mvt I

Sonate no4 en mib majeur (K.282) mvt III (mes 8)

Sonate no2 en fa majeur (K.280), mvt III (mes. 38)

 

Sonate no5 en sol majeur (K.283), mvt I

Sonate no7 en do majeur (K.309), mvt I (mes. 33)

Sonate no3 en sib majeur (K.281), mvt I (mes. 17)

 

Sonate no12 en fa majeur (K.332), mvt I

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt II (mes. 16)

Sonate no5 en sol majeur (K.283),
mvt III (mes. 41)

 

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt I

Sonate no9 en la mineur (K.310), mvt I (mes. 22) et mvt II (mes 14)

Sonate no6 en ré majeur (K.284), mvt I (mes. 22)

 

Sonate no17 en sib majeur (K.570), mvt I

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt I (mes. 18)

Sonate no8 en ré majeur (K.311), mvt I (mes. 17)

 

Sonate no18 en ré majeur (K.576), mvt I

Sonate no13 en sib majeur (K.333), mvt II (mes. 13)

Sonate no10 en do majeur (K.330), mvt III (mes 32)

 

 

Sonate no14 en do mineur (K.457), mvt I (mes. 35)

Sonate no12 en fa majeur (K.332), mvt II (mes. 10)

 

 

Sonate no16 en do majeur (K.545), mvt I (mes.13)

Sonate no15 en do mineur (K.533), mvt I (mes. 42) et II (mes 23)

 

 

 

Sonate no18 en ré majeur (K.576), mvt III (mes 26)

 

 

Voilà, là-dedans sont classés tous les mouvements de sonate analysés selon leur flafla. Seulement sept mouvements analysés ne comportent pas de flafla, sur trente-trois, alors on peut bien parler d’une constante assez importante. Tellement importante qu'elle done un bon indice quant au découpage formel: dans une section, en cas d'alternative entre un pont ou un deuxième gorupe de thème, l'apparition du flafla peut favoriser un choix plutôt qu'un autre.

À noter, on retrouve parfois de ces flaflas lorsqu’il y a un changement marqué de section; par exemple, on peut en retrouver à la fin d’une section centrale – mais généralement, ces flaflas en fin de section centrale ne sont pas anacrousiques, et ils arrivent beaucoup moins fréquemment qu’en début de deuxième groupe de thèmes en exposition.

Exemple 25

Sonate no5 (K. 283) en sol majeur, premier mouvement, mesures 65 à 76.

 

Exemple de flafla entre la section centrale et la réexposition.