Section centrale : les premières et dernières modulations

Il est étonnant à quel point Mozart peut avoir des préférences quant au choix de ses modulations dans la section centrale développante. Le parcours harmonique est très variable, unique à chaque mouvement de sonate (quoiqu’il suive une nette tendance à procéder par quintes), mais on remarque que la première modulation du développement sera, la plupart du temps, sur II, et finira, encore dans la plupart des cas, sur VI.

Pourquoi II et VI? Dans une gamme majeure (car tous les mouvements analysés sont en mode majeur, sauf trois), les fonctions II, III et VI seront mineures. On suppose que Mozart ne commence ni ne termine un développement sur III à cause de la présence de la sensible (qui fait, en plus, office de Ve degré dans une telle gamme, un degré trop fort pour être réservé à la sensible), il reste le II et le VI pour pouvoir commencer et terminer la section centrale en mineur – parce qu’on dénote une forte tendance à développer dans le mode mineur, pour ajouter au caractère dramatique de la forme sonate. La section centrale où a lieu le développement existe justement pour être très instable, afin d’amener une résolution - il est par nature plus instable que le mode majeur (c’est d’ailleurs là peut-être la raison pourquoi Mozart conçoit ses formes sonates davantage dans le mode majeur : la résolution de la réexposition est beaucoup plus stable).

D'ailleurs, notons au passage que seulement trois mouvements de forme sonate (sur trente-trois) sont en mode mineur!

La constante est donc qu’en section centrale d’une sonate dans un ton majeur, lorsqu’il y a développement, le premier ton visité après avoir quitté le ton de l’exposition est souvent II, et le dernier ton visité avant de prendre le ton de la réexposition est souvent VI.

Exemple 26 : sonate no 4 (K.282) en mi bémol majeur, parcours tonal du troisième mouvement 

Voici les mouvements de sonates dans lesquelles le premier ton visité après avoir quitté le ton de l’exposition est II et où le dernier ton visité avant de prendre le ton de l’exposition est VI :

Aussi, il arrive qu’à l’inverse, le premier ton visité après avoir quitté le ton de l’exposition soit VI et que le dernier ton visité avant de prendre le ton de la réexposition soit II.

Exemple 27 : sonate no 10 (K.330) en do majeur, parcours tonal du premier mouvement

Voici donc les petits frères de ce mouvement, qui présentent VI et II comme ton de départ et de fin de la section centrale :

  • La sonate no1 (K. 279) en do majeur, troisième mouvement
  • La sonate no18 (K. 576) en ré majeur, premier mouvement
Suivant un parcours semblable, plusieurs mouvements visitent d’abord le ton de II pour finir par un autre ton que VI :

Exemple 28 : Sonate no5 (K. 283) en sol majeur, parcours tonal du troisième mouvement

Les mouvements de sonate dont la section centrale comporte une première modulation sur II et une dernière modulation sur autre chose que VI :

  • Sonate no 1 (K. 279) en do majeur, premier mouvement (début = II, fin = IV)
  • Sonate no 5 (K. 283) en sol majeur, troisième mouvement (ci-haut)
  • Sonate no 6 (K. 284) en ré majeur, premier mouvement (4) (début = II, fin = II)
  • Sonate no 9 (K. 310) en la mineur, deuxième mouvement (début = II, fin = II)
  • Sonate no 15 (K. 533) en fa majeur, premier mouvement (début = II, fin = V)

On remarque donc qu’une bonne portion des sections centrales développantes visite d’abord le ton de II, après avoir quitté le dernier ton de l’exposition.

Lorsque le développement est très court et ne comporte qu’un autre ton que celui de la tonique et celui de la dominante, c’est le ton de VI qui est visité.

Exemple 29 : sonate no1 (K.279) en do majeur, parcours tonal du deuxième mouvement

Les mouvements de sonate qui ne visitent que VI :

Les autres mouvements majeurs qui passent par plusieurs tons dans la section centrale mais qui ne commencent pas par II ni ne finissent par VI sont ceux-ci :

  • Sonate no 12 (K. 332) en fa majeur, troisième mouvement (remarquons que Mozart attend jusqu’à sa douzième sonate avant de dévier de cette constante!)
  • début = I, fin = IV
  • Sonate no 13 (K. 333) en si bémol majeur, deuxième mouvement :
    début = II, fin = VII mineur spécial (ooOOOooh!)
  • Sonate no 15 (K. 533) en fa majeur, deuxième mouvement : début = III, fin = V min.
  • Sonate no 17 (K. 570) en si bémol majeur, premier mouvement : début = III mode mixte, fin = V min.
  • Sonate no 18 (K. 576) en ré majeur, troisième mouvement : début = III, fin = VI.

Avez-vous remarqué que dans cette liste, on ne rencontre pas de premier mouvement? (mis à part la sonate no17, mais celle-ci est un cas spécial, ne la considérons pas pour l’instant – nous y reviendrons plus tard) Il semble que Mozart n’ose pas beaucoup déroger de son cadre dans les premiers mouvements, en ce qui concerne les premiers et derniers tons visités dans une section centrale à plus de trois tons (en mode majeur, toujours, rappelons-nous, en mode majeur!).

Pour ce qui est des mouvements de sonate en mode mineur, les choses sont différentes, mais une constante semble s’imposer : plutôt que les tons de II et de VI, ce sont les tons de IV et de V qui dominent.

Exemple 30  : Sonate no 2 (K. 280) en fa majeur, parcours tonal deuxième mouvement (en fa mineur)

Ici, le premier ton visité lors de la section centrale (autre que le dernier ton de l’exposition) est IV, et le dernier est V. Voyons voir les deux seuls autres mouvements de sonate en mode mineur :

Bien entendu, il reste des mouvements dont on n’a pas encore mentionné le nom; les mouvements qui restent ne visitent aucun autre ton que celui de la tonique et celui de la dominante – il n’ont donc pas de développement.

Les sonates sans développement peuvent cependant avoir une section de transition entre l’exposition et la réexposition. Les mouvements sans développements sont en général des deuxième mouvements (Charles Rosen appelle d’ailleurs les mouvements sans développement des « formes mouvement lent »), bien que deux premiers mouvements et un troisième mouvement apparaissent dans le lot.

La section centrale est donc considérée comme une section de transition.

Exemple 31 : sonate no 3 (K. 281) en si bémol majeur, parcours tonal du deuxième mouvement

Voici donc les deuxièmes mouvements sans développement :

  • Sonate no 3 (K. 281) en si bémol majeur, deuxième mouvement
  • Sonate no 8 (K. 311) en ré majeur, deuxième mouvement
  • Sonate no 12 (K. 332) en fa majeur, deuxième mouvement

… et les autres mouvements sans développement :

Notez cependant que même en section centrale développante, on peut trouver un nouveau thème, comme dans la sonate no 3 (K. 281) en si bémol majeur, premier mouvement.

 

Exemple 32

Sonate no 3 (K. 281) en si bémol majeur, premier mouvement, mesures 52 à 64 (en section centrale)

 

 

La section centrale comporte beaucoup d’éléments de développement issus du premier et du deuxième groupe de thèmes, mais à la mesure 57 intervient un fragment mélodique jusqu’alors jamais entendu, qui co-existe avec le développement sur les autres thèmes. Il semble que ce soit là le seul exemple de section centrale avec à la fois du développement et du nouveau matériau.

 

(Notons qu'il est aussi possible de trouver des nouveaux thèmes dans les ponts (par exemple: sonate no 14 en do mineur, K. 457, mes, 24-33 - mais nous parlions ici plutôt des nouveaux thèmes dans les sections centrales.)

(4) Les premiers mouvements des sonates no 6, no10, ainsi que le deuxième mouvement de la sonate no 9 qui sont mentionnés ici comportent une section centrale qui ne développe pas sur le matériau entendu dans l’exposition, qui ne fait plutôt qu’exposer des nouveaux thèmes. Cette section ne sera donc pas appelée « développement », bien que plusieurs tons soient visités.