Long arrêt sur II avant une cadence forte

Lorsque Mozart veut insister sur une cadence importante (comme par exemple, en fin d’exposition, juste avant l’extension cadentielle ou la codetta, ou bien avant la demi-cadence qui mène au deuxième groupe de thèmes), il tend à ralentir le rythme harmonique de façon importante. On retrouve souvent, en fin d’exposition, le très classique trille cadentiel, souvent précédé d’une double appogiature de la tierce et de la quinte de l’accord de dominante (pour les intimes, on l’appelle le I 6/4). Mais pour amener ce ralentissement rythmique, on remarque une tendance chez Mozart à introduire une fonction de pré-dominante (on entend par pré-dominante : II et tous ses substituts) particulièrement longue, qui aura pour but de créer une attente de la dominante et du même coup de ralentir le flux harmonique.

On peut donc trouver la longue pré-dominante à deux endroits-clefs : avant le deuxième groupe de thèmes et à la fin du deuxième groupe de thèmes (avant l’extension cadentielle ou la codetta).

Exemple 33

sonate no 9 (K. 310) en la mineur, deuxième mouvement, mesures 24 à 31 (fin d’exposition)

 

Le rythme harmonique passe d’une fonction par noire à une fonction par mesure avec le long II qui freine le mouvement harmonique.

Exemple 34

Sonate no 14 (K. 457) en do mineur, premier mouvement, mesures 48 à 74 (fin de l’exposition)

 

Cet exemple montre bien un très très long II avant une cadence forte. Ce long II a aussi une autre fonction : il permet de mieux cerner le découpage formel. En effet, après un si long II (donc, une cadence si appuyée), nous sommes heureux de retrouver de l’extension cadentielle. On peut donc considérer les mesures 59 à 70 comme du matériau de remplissage, qui s’échelonne sur tant de mesures pour s’équilibrer avec la présence du II de cinq mesures et demi.

Exemple 35

Sonate no 14 (K. 457) en do mineur, premier mouvement, mesures 115 à 135 (fin du premier groupe de thèmes en réexposition)

 

Dans la même sonate que dans l’exemple 34, en réexposition, on trouve un bon exemple de l’emploi de la pré-dominante pour renforcer la demi-cadence avant le deuxième groupe de thèmes.

 

Dans cet extrait, le II est remplacé par une très forte et longue polarisation sur N 6 (le pendant de II dans le mode mineur, finalement) qui amène la demi-cadence avant le deuxième groupe de thèmes. Cette forte polarisation n’avait pas lieu dans l’exposition; Mozart semble vouloir insister sur cette demi-cadence particulière, et la raison semble bien évidente : le deuxième groupe de thèmes se résoudra dans une tonalité mineure alors qu’il a été précédemment entendu en majeur; le contraste est tel que Mozart ressent un besoin de ponctuer davantage ce qui précède l’évènement, comme une grosse pancarte avec des néons fluos.

(On peut aussi concevoir que le II précédemment entendu a été remplacé par Né pour avoir une résolution plus forte - comme mentionné avant, Mozart recherche la stabilité dans le majeur plutôt que dans le mineur. Le pont se voit donc transformer pour une résolution plus forte.)

Ce qui m’amène à ceci : les longues pré-dominantes servent aussi à articuler de façon plus marquée les demi-cadences qu’on retrouve avant les deuxièmes groupes de thèmes.

Exemple 36

Sonate no5 (K. 283) en sol majeur, troisième mouvement, mesures 30 à 42 (exposition, avant le deuxième groupe de thèmes).

-Longue pré-dominante (alternance de IV et II) avant la demi-cadence précédent le deuxième groupe de thèmes.

 

On retrouve ces longues pré-dominantes en fin d’exposition dans les mouvements suivants :

  • Sonate no 2 (K. 280) en fa majeur, premier mouvement
  • Sonate no 9 (K. 310) en la mineur, premier mouvement
  • Sonate no 9 (K. 310) en la mineur, deuxième mouvement (voir exemple 33)
  • Sonate no 14 (K. 547) en do mineur, premier mouvement, (voir exemples 34)
  • Sonate no 16 (K. 545) en do majeur, premier mouvement
Enfin, on retrouve ces longues pré-dominantes avant la demi-cadence qui précède le deuxième groupe de thèmes dans les mouvements suivants :

Voilà, voilà, c’étaient donc les plus grandes constantes que j’ai pu rencontrer lors de ma périlleuse aventure au sein du fabuleux corpus des sonates pour piano de Mozart.