Réflexions sur un échec

C’est-tu vraiment un échec??

Deux de mes projets ont récemment chié, un c’est un court-métrage d’animation sur lequel je travaillais depuis mai 2023, et je ne me suis pas rendu jusqu’au début de la production: ça a chié juste avant que la sodec signe le chèque.

Le deuxième projet, c’était la fresque des 36 écrans de la place des arts. C’était un magnifique plan B – parce que j’ai toujours été attiré par cette chose extraordinaire à chaque fois que j’allais à la place des arts, et j’ai mis quand même pas mal de temps sur mon petit gif animé-preview de ce que je voulais faire. Et ça a chié pour une raison bêtement administrative.

Deux deux “chiages”, c’est vraiment les 36 écrans qui m’a déprimé le plus. J’ai passé deux jours à avoir de la misère à me traîner et à fumer beaucoup de pot.

Quant à la sodec… je m’y attendais un peu?? Depuis le début de cette démarche, je sens que quelque chose cloche, que quelque chose n’a absolument pas rapport avec la manière avec laquelle je travaille. En deux ans, j’ai voulu abandonner 4 fois, mais j’ai vraiment persisté jusqu’au bout; c’est la sodec qui au final, a tiré la plogue. Et leur raison me semble valable, ça n’est pas vraiment une surprise.

Oui, j’en ressens quand même une douleur, comme si on m’avait coupé une branche presque morte. Il y avait encore un peu de vie, un peu de nerfs, ça fait quand même mal, mais mon dieu que je suis soulagée d’être débarassée de cette branche morte.

Le projet est mort, mais je sais qu’il est ressucitable (ou en tout cas, il va l’être quand Félix va avoir signé la lettre qui annule la cession de droits). Mais en tout cas dans ma tête, il est mort. Et c’est une possibilité qu’il soit mort pour toujours, et ça me dérange pas tant. Le long-métrage de Pervitine n’a pas été touché et c’est ça le plus important. Au contraire, j’ai appris ééééééénooooormément de choses qui va beaucoup m’aider.

Ça fait un bout de temps que je dis que je cherche une façon alternative de financier/produire/distribuer les films. Ayant évolué dans le marché du livre depuis une vingtaine d’années, côtoyer les règles du marché du film m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses

 

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LE MONDE DU FILM VS LE MONDE DU LIVRE

(Note: des fois je parle de “problèmes”, à propos de ce que j’ai constaté du milieu du film, mais je tiens à souligner que le problème vient très rarement des gens. Même à la sodec, tout le monde que j’ai rencontré était extrêmemement bienveillant, et tout est fait pour aider les gens le plus possible. Les choses qui ont été dites et le mood qui est installé vient plus du système en place, qui à mon sens, n’a pas assez évolué, ne s’est pas assez ouvert depuis l’arrivé d’Internet dans les foyers, et s’ensuit une cascade de crises. Est-ce que c’est vraiment ça le problème central? C’est là-dessus que je gamble, mais il me reste beaucoup de choses à apprendre et mon opinion là-dessus risque de changer d’ici les prochaines années.)

 

Le tabou du premier jet 

il n’y a absolument pas le tabou de ça dans la BD, c’est même plutôt l’inverse: j’ai vu souvent un premier jet enscensé, regardez comme au premier trait de crayon, c’est déjà génial. Je pense souvent au livre Nicolas de Pascal Girard, qui a été écrit/dessiné en quoi, trois jours? Et c’est un grand livre. Ce sont des miracles, ce sont des livres écrits dans l’urgence.

Dans mon corpus, Apnée est un livre de ce genre. J’ai fait un scénario, qui est exactement identique au découpage, qui est exactement identique aux pages finales, et le livre ne m’a pris que quelques semaines à faire. C’est un livre qui a beaucoup résonné et qui suscite encore de l’intérêt. Donc oui, je sacralise un peu le premier jet.

Dans le monde des subventions/sodec/inis, plus il y a de versions, plus c’est retravaillé, plus c’est sensé être bon. Je repense souvent à ce triste épisode dans une plenière de Court écrire ton cours quand les mentors s’acharnait sur le gars qui avait écrit une 2e version avec juste un seule modification, et qui n’avait absolument rien changé pour la 3e version. Il avait refusé d’écouter les commentaires, avait jugé que c’était la forme finale de son scénario. C’était d’ailleurs le plus âgé d’entre nous, et le plus expérimenté. Eh bien, il s’est fait RENTRÉ DEDANS lors des commentaires suivants par les mentors, c’était même devenus émotifs.

Je suis sorti de cette plenière complètement terrassée de comprendre que j’arrivais dans un milieu qui désacralisaient complètement le premier jet.

 

Les droits

J’étais à peine entrée dans le milieu que le discours était très judiciarisé. Il y avait toujours un représentant du droit présent, parce que le marché du film est un marché de droits.

Un jour pendant une conférence sur la production (c’était pendant le festival Courts d’un soir), j’arrivais tout juste dans le milieu et j’avais posé une question à savoir si c’était possible de faire un film qui soit libre de droits, dans le domaine public. Il y a eu un silence gêné, et une totale incompréhension de ma question. J’étais vraiment une extraterrestre.

Ce qui se deale, dans une relation réalisateur-producteur, ce sont les droits. Tu signes un contrat de cession de droits, les droits du film appartiennent au producteur (en tout cas, si j’ai bien compris, je suis pas sûre si c’est absolument obligé d’être de même).

Le droits est pas mal, pas mal, pas mal plus lousse dans le marché du livre. Mes deux derniers livres chez pow pow ont des licenses Creative Commons. J’ai effectivement signé un contrat qui accorde le droit de reproduction à Luc, mais en ce qui concerne le droit d’auteur, je fais pas mal ce que je veux.

Je pense que c’est dû au fait que le livre necessite vraiment moins de gens. Quand je fais un livre avec Luc, il y a moi, il y a Luc, et c’est tout. Je n’ai pas besoin d’engager le talent de quelqu’un d’autre. Ça fait qu’il y a moins besoin d’argent, ça fait qu’il y a des budgets plus petits, ça fait qu’il n’y a pas de gros prêts à la banque, etc.

Le plus possible, mes films sont libres de droits. Mes quatre films qui tournent en festival depuis 2021 (le noeud, croute-mousse, enjoy the silence et valse noble) ont une mention “libre” avec un signe de copyright barré à la fin. Je me suis inspirée de Nina Paley.

Pis honnêtement, ils sont pas toujours 100% legit libres de droits… je prends certains risques. Faque si un petit bout de mon orteil rentre dans le milieu et déjà on me parle de procès, ya comme une petite peur.

Je me rappelle très bien, on était dans la salle d’expo à la cinémathèque, pendant les sommets de l’animation de montréal, il y avait une activité de maillage ou je me rappelle plus, entre les producteurs et les réalisateurs d’animation. Le gars de la sodec (dans le juridique) répondait à une question (est-ce qu’il faut absolument avoir un producteur pour avoir une sub de la sodec?) et il a fait cette joke (je la formule très mal, c’était plus punché que ça):

“de toute manière, vous VOULEZ un producteur; parce que nous, si on poursuit quelqu’un en justice, c’est le producteur! Vous avez intérêt à ce que ce soit pas vous!!”

Pis tout le monde a rit de la blague candidement.

J’étais terrorisée.

 

Promesses des subs

Ultimement, j’aimerais bien me rendre à un point où j’ai assez de cash pour pouvoir engager des gens, et voir leur talent ajouté au projet. Ça a failli se passer (man j’allais faire un film avec Saturnome…).

C’est ça le rêve avec le film: d’avoir une équipe de rêve, que t’aies assez de cash pour pouvoir payer tout le monde adéquatement, c’est hyper rushant dans le temps, mais c’est un projet de folie qu’on fait avec des fous et après ça sort, le monde le voit, le monde aime ça, on vit ça en gang, etc. (c’est peut-être le rêve tel que je me l’imagine)

Ya comme pas ça avec le livre. Le livre est drabe. Le livre est ingrat. Le livre est solitaire. La promesse de la sub, en livre, c’est juste de pas avoir à se soucier de l’argent pendant x temps. Après, le rêve continue si le monde aime ça, si ya des bonnes critiques, si les gens font la file au salon du livre, etc – mais la sub ça te permet juste de vivre pendant la production. En tout cas c’est comment je le sens.

Aussi, le processus du film est plus long. C’est pas un passage obligé, mais généralement, tu demandes une sub de développement, pour écrire le screenplay du film et faire le budget et tout, et une fois que c’est fait, là tu peux demander une sub en production. En BD, ya pas vraiment de demande de sub en développement. Tu dois pas avoir le livre écrit au complet pour le pitcher au conseil des arts, et tu demandes direct une sub pour travailler dessus (l’équivalent de la sub de prod, sans sub de dev).

En gros, la sub du livre donne du temps pour faire ton livre. La sub du film donne du monde pour faire ton film. C’est très très très très différent. Moi, j’aimerais ça avoir du temps pour faire un film… je suis sûre que ça se fait… mais je le vois bien que c’est pas le chemin habituel.

(aussi faut dire que pour les subs pour les films, on met les films de prise de vue réelle et les films d’animation dans le même bassin.  La production d’un film de prise de vue réelle est pas mal plus morcelée, et précipitée dans des crénaux de temps relativement courts, expacés les uns des autres. Un film d’animation, c’est un petit train qui roule très très très lentement de manière très stable. Il y a beaucoup plus de demandes de sub en prise de vue réelle qu’en animation, donc beaucoup plus de jury de prise de vue réelle que d’animation. Des fois, cette réalité de la vitesse production différente n’est pas très bien comprise, j’ai l’impression).

– Le revenu d’un film

L’argent d’un court-métrage, c’est l’argent de la sub. Une fois que le film est fini, ya peu d’espoir de revenu. Ya pas vraiment de sorties en salles autre que quand il est projeté en festival, donc tu vas pas avoir de ventes de billets. Si je fais un film, je vais être payée pendant que je le fais. Après, qu’est-ce qui se passe? Je ne le sais pas encore, parce que je n’ai pas encore réussi à me rendre jusque là avec un film produit (sauf avec l’ONF. mais l’ONF c’est une autre histoire)

Le court-métrage gagne quelques pinottes quand il est diffusé dans un festival (entre 50$ et 160$ quand j’ai soumis croute-mousse – des fois 0$ – je ne sais pas encore si cet argent va au distibuteur lorsque le film est distribué??)

Le plus gros espoir de revenu possible pour la distribution de court-métrage, ce sont les ventes télé.

Et de moins en moins de monde écoute la télé, et de moins en moins de télés achètent des courts-métrages (achètent les droits de diffusion, on s’entend). Les courts-métrages achetées par des chaînes de télé (télé-québec/tout.tv, unis.tv/tv5, Arte…) sont diffusées parfois à la télé, le plus souvent sont mis en ligne sur des plateformes web, parfois géobloquées, dont l’adresse est temporaire (parce que web n’est pas pensé comme un lieu de permanence.)

Il y a de plus en plus de place pour les séries web. Mais la fille du programme Créateur en série nous l’a dit au campus de Québec, en parlant trèèèèès lentement et en articulant comme si on était des enfants de 5 ans: “on est PAS le conseil des arts. On est là pour l’IN-DUS-TRIE.” Ça m’a pas full attirée.

Le géoblocage, c’est un gros problème. En films, la panète n’a plus trop de frontières. Si mon film est géobloqué, mon chum colombien peut pas le faire écouter à ses amis colombiens, je peux pas montrer mon film à un autre animateur que j’ai rencontré dans un festival à los angeles, je peux pas le montrer à mon amie japonaise, qui ne peut pas elle-même le partager dans son milieu, etc. Le géoblocage coupe beaucoup de bouche à oreille, parce qu’il bloque le réseau international. Quand je vois quelque chose de cool, je le partage immédiatement, pas 3 ans plus tard quand enfin le film n’est plus géobloqué.

Un distributeur m’a raconté un cas de figure où un court-mérage a déjà été acheté par une télé brésilienne 8 ans après sa sortie. Comme quoi, ça valait la peine de laisser le film derrière un paywall pendant 8 ans parce qu’il y aura peut-être du monde au brésil qui vont nous donner de l’argent pour! (il est préférable de faire de l’argent que d’avoir des views?…)

En livre, c’est cooooooomplètement différent parce qu’on vend un objet physique. Je suis à peine payée quand je le fais. Luc m’a déjà donné une avance de 1000$, mais maintenant je la demande même plus, parce que c’est juste un 1000$ de moins sur mon chèque de l’an prochain. Faque maintenant, je demande même pas d’avance. Football-Fantaisie m’a pris 6 ans et je n’ai pas été payée une cenne pour le faire.

Je reçois mes droits d’auteur un an après. Des fois ya des petits pièges, par exemple à cause de l’office – un libraire a un an après la sortie d’un livre pour retourner un livre, et cet office compte comme une vente. Si le livre est retourné, le montant est soustrait dans le chèque de l’année suivante. J’ai déjà un ami qui a été un peu déprimé de voir qu’une année, le nombre de ventes de son livre était négatif!! (il se demandait s’il “devait” de l’argent à la maison d’édition – mais évidemment Luc l’a rassuré, il devait rien pantoute. C’est quand même déprimant.)

La paie 

J’étais un peu hallucinée du montant des chèques que m’envoyait Embuscade pendant le développement de mon film. On a développé le film pendant un peu moins qu’un an, et en tout d’embuscade j’ai reçu 21 700$. C’est ÉNORME!!!!! Jamais je n’ai reçu autant d’argent pour une oeuvre qui n’existe pas encore. (le plus que j’ai reçu c’était une bourse du calq de 18 000$ pour la production de Ping-pong)

Et quand on faisait la demande de sub en production du film à la sodec, on me disait que dans le budget, on m’avait alloué un salaire de 60 000$. Pour deux ans? un an et demi? Pour le temps que le projet dure. Ayoye j’en revenais pas, c’est beaucoup de dollars.

Quand je pense qu’un montant est beaucoup de dollars, je me rappelle toujours de Luc, qui vient du monde de la PUB, et qui me ramenait les pieds sur terre. “C’est PAS beaucoup d’argent, Sylvie-Anne!!!” J’ai toujours évolué dans un milieu très pauvre, je me suis pas du tout habituée aux salaires “normaux”.

Le revenu que je fais avec le livre, c’est une fois qu’il est sorti, qu’il a été acheté, un an plus tard je reçois un rapport de ventes avec un chèque. Je suis payée alors que la job est finie. Et le plus beau dans tout ça, c’est que si mes livres continuent de vendre, je continue de recevoir de l’argent à chaque année.

Je n’ai pas eu de nouveauté depuis 2021 chez pow pow, pourtant j’ai reçu pas loin de 4000$ en droits d’auteur cette année, parce que mes 7-8 livres (ou en tout cas, ceux qui sont pas épuisés) continuent de vendre. S’ajoute à ça 3500$ de la commission du droits de prêts publics, ça c’est le gouvernement qui te donne de l’argent pour compenser les “pertes” que t’as parce que les gens empruntent tes livres à la bibliothèque au lieu de les acheter. Ça ça me fait halluciner que ça existe. J’habite dans un pays tellement cool????????????

Bref j’ai RIEN fait depuis 2021 et j’ai 7500$ de droits d’auteurs. (7500$ qui viennent quand même de 20 ans à faire au moins un livre par année).

Mon plus gros revenu en droits d’auteurs, c’était en 2022, l’année de Football-Fantaisie. Le livre coûtait 55$ et j’ai 10% par livre, donc je gagnais 5,5$ du livre vendu. Cette année-là, juste en droits d’auteur de pow pow (sans compter la commission du droits de prêt public et les autres éditeurs), j’ai fait 19 000$ (pour un livre qui m’a pris 7 ans à faire). L’année suivante, toujours pas de nouveauté, j’ai fait 10 000$. Et après, sans aucune nouveauté, ça s’est stabilisé autour de 4000$, ça diminue un petit peu chaque année. Et ça va remonter quand je vais publier un autre livre.

Faque le rapport à l’argent est pas pantoute le même. Dans les deux cas, c’est pas un petit salaire horaire que tu as dans ton compte en banque à chaque deux semaines. Dans le livre, c’est un gros montant une fois, qui s’égraine d’année en année.  Dans le film, (en tout cas mon expérience) c’était que c’était un gros montant 2-3 fois ish par année, pis après c’est fini. Donc j’ai le cash du livre après qu’il soit fini, et il continue à raporter à chaque année (de moins en moins, comme un écho). Pour le court-métrage, le gros de l’argent, tu l’as alors que le film est pas fini. Et après?  je le sais pas encore, je me suis pas rendue là. Pour mes petits films autoproduits et autodistribués, c’était: rien pantoute.

 

Les premières

La première d’un film est probablement son plus gros enjeux. Parce qu’il y a des festivals qu’on nomme “les festivals de catégorie A”. Ce sont les plus gros, genre Cannes, Berlinales, Tiff, etc. C’est là qu’il faut scorer une première, parce que ce sont des festivals contingentés, et quand on arrive à se tailler une place, ça attire beaucoup l’attention, et plus ya de chances que les festivals de plus petite catégorie l’acceptent aussi. Beaucoup de festivals = beaucoup de succès (et plus de prestige = plus de chances de bourses).

Le problème, c’est que ces gros festivals-là n’acceptent que les premières. Si ton film a joué à Regard au saguenay, il n’est plus admissible à Cannes. Ce qui fait qu’il y a une espèce de hiérarchie de prestige de festivals, et des stratégies d’envoi. Le film est parfois long à starter quand, le premier festival qu’on a choisi le prend pas. Il faut attendre tout le temps de la réponse avant de l’envoyer une deuxième fois. Pis quand ya un 2e et un 3e refus, ça peut être très long. Quand il a eu sa première, le reste suit quand même assez rapidement.

Il y a plusieurs première. Première mondiale, première internationale (si la premiere a été dans le pays d’origine, c’est la première qui est à l’exétrieur), première nord-américaine, première canadienne, première montréalaise, première de la rue napoléon… et chaque festival a ses exigences. Certains s’en sacrent, aussi.

Et le problème sous-jacent, c’est: qu’arrive-t-il si tu mets ton film gratuit sur internet? La question est encore un peu floue. Certains festivals sont très stricts: pas le droit de l’avoir diffusé sur internet. D’autres sont plus lousses, généralement ils font juste pas le mentionner dans leurs règlement.

Pour moi, tout ça ne fait pas de sens, c’est même contraire à mon expérience. Toutes les pages de Football-Fantaisie et toutes les pages de l’ostie d’chat sont encore lisibles en ligne. Je n’ai pas enlevé l’accès gratuit quand les livres ont été publié. Non seulement ça n’a pas empêché les ventes, mais ça les a même stimulées; parce que si t’as aimé l’histoire sur ton écran, tu vas vouloir posséder le livre. Et surtout: ça facilite le bouche à oreille.

De la même façon, un jour j’étais au festival Regard et j’avais vu un film incroyable de – merde comment il s’appelle… un japonais qui fait des films psychédéliques – MIRAI! –  bref je l’avais vu dans une séance et je suis arrivé à ma chambre d’hotel et je voulais tellement le revoir! Et je l’aurais partagé à des amis! Il aurait continué son chemin à l’extérieur du festival, et qui sait, j’aurais peut-être rejoint quelqu’un qui l’aurait vu, qui aurait aimé ça, et qui, deux mois plus tard, aurait apperçu que le film jouait dans un festival près de sa ville? Et wow j’aimerais voir ce film-là dans une salle! – et boum, il va dans le festival? Pour lequel il n’aurait pas eu d’intérêt sinon? En tout cas si un jour il y a un festival près de chez moi qui passe le film de tennis de Victoria Vincent, ya des grosses chances que j’achète un billet, pour le voir sur grand écran, parce que j’ai adoré ce film, que j’ai vu sur Internet. Je ne pense pas que l’expérience écran et l’expérience salle sont en compétition, je pense plutôt qu’ils sont complémentaires.

Les festivals sont peuplés esssentiellement de filmmakers et de cinéphiles. Des gens du milieu. Si je veux que mon film soit vu par ma famille, mes amis, mes lecteurs, un librairie inconnu de shawinigan, une prof de secondaire de gaspésie, eh bien tant que mon film tourne dans des festivals, il ne se rendra pas à eux. Les tournées de festival durent généralement 2-3 ans, les contrats de distributeurs durent généralement 3 ans – renouvelables automatiquement.

Ça me rappelle ce que Saturnome disait à propos d’Annecy: on reçoit beaucoup d’écho sur les réseaux sociaux, tel film a gagné tel prix, des cirtiques, de la pub, tu te dis “wa wow ce film-là je veux tellement le voir!” et ça mousse et ça mousse et tu veux le voir tu veux le voir, pis là le festival est fini pis impossible de le voir.  Les mois passent et tu t’en rappelles plus vraiment de ce court-métrage-là. Et là quelques années plus tard il est enfin disponible, mais l’information ne se rend pas jusqu’à toi parce qu’il y a dix mille cossins nouveaux et excitants qui sont poussés par des algorithmes et le film sort un peu dans l’oubli, quand il n’est pas carrément forever derrière un paywall. Ou bien il est sur vimeo dans l’espoir d’un staffpick, mais vimeo c’est encore une plateforme d’élite, ma tante lucie est pas là-dessus, et c’est rendu un truc très cher avec des limites un peu trop strictes.

Je l’ai entendu de la bouche d’un distributeur: “quand tu mets ton film gratuit sur internet, ton film est mort.” (parce que tu ne peux plus le vendre à la télé ou le faire tourner dans des festivals importants). Donc on ne pense pas le web comme un lieu de diffusion ou comme une archive. On le prend plus comme une plateforme de pub, pour la salle.

Il n’existe pas vraiment un équivalent de la première en livre. Il y a bien des sorties simultanées dans tous les pays en même temps pour des livres à énorme succès comme Harry Potter. Il est peut-être mal vu de sortir un livre dans un salon du livre quand il n’est pas encore disponible en librairie, puisqu’on ne souhaite pas que le salon du livre soit un compétiteur aux libraires. On aime trop les libraires pour ça. C’est peut-être la principale contrainte à laquelle je pense? question timing de sortie de livre?..

 

Le financement 

Un jour j’ai rencontré Renaud Plante par hasard dans un parc, il était avec son kid, qui est un tout petit peu plus vieux que ma fille. C’est lui qui a attiré mon attention sur cette réalité, celui du système de financement du livre VS le système de financement du film. Renaud, c’est l’éditeur de Nouvelle adresse, une maison d’édition de Bd en expension (renaud était jadis éditeur chez mécanique générale), et il a aussi fait une série en stop-motion et travaillait sur un court d’animation depuis de nombreuses années. Il a côtoyé les deux systèmes.

L’éditeur de livre reçoit une subvention au fonctionnement, et il choisit les oeuvres selon sa ligne éditoriale. Il ne doit plaire qu’à lui-même. Évidemment il doit être capable de défendre ses choix, mais il n’a pas à remplir une shitload de paperasse, signer des contrats, avoir des avis juridiques, accompagner le créateur dans les textes à écrire, à penser à la justification de l’oeuvre, faire approuver un budget… et ce pour CHAQUE livre.

Si en tant que bédéiste je veux une sub, c’est moi qui la fait, c’est moi qui reçoit le cash, et je peux aller avec l’éditeur que je veux. L’éditeur, lui, reçoit de l’argent pour produire ses livres, at large.

Un producteur de films doit faire une demande de subvention pour CHAQUE film qu’il veut produire et c’est lui qui paie le réalisateur. L’équipe producteur-réalisateur doit convaincre un jury, qui est pas toujours un jury de pairs. Ils doivent même sonder des distributeurs alors que le film existe même pas. La demande de sub, c’est énormément de travail, c’est un processus très long (surtout que souvent c’est pas juste prod, c’est dev + prod). On compare la production à un mariage. La métaphore a été entendue lors d’un lunch à Regard en compagnie d’Amélie et Dominique de Nemesis, et je l’avais aussi entendu de la bouche de Tam, de la maison de distribution Travelling: elle répondait à la question “comment en êtes-vous venu à devenir distributeur?” et elle avait répondu de quoi du genre: “parce que la production m’intéressait pas. Parce que produire un film, c’est se marier avec. C’était pas pour moi.”

Pour mon petit film de 6 minutes 30, après 2 ans de démarches, la production était même pas encore commencée. Ça me faisait un peu capoter parce que pendant ce temps-là, la préprod-prod-postprod de croûte-mousse (3:34) n’a pris que 6 mois.

Je suis pas convaincue que Luc ferait le métier d’éditeur s’il devait faire ce que les producteurs doivent faire. Une double demande de sub (auprès de plusieurs organismes) pour chaque projet, c’est un travail de fou. Et je parle même pas de post-prod.

Le jury de la Sodec

Le jury de la Sodec n’est pas tenu en très haute estime par le monde du milieu du film. Les gens avec qui j’ai travaillé, des producteurs que j’ai rencontré dans du speed dating de producteurs, d’autres collègues réalisateurs… j’ai souvent senti qu’on trouvait que le jury de la sodec était composé de gens stupides et by-the-book. De mon expérience, j’ai souvent entendu qu’on anticipait leur réaction.

(tu peux pas parler du long-métrage de pervitine parce qu’ils vont penser que tu veux financer un film avec une suite et ils vont pas vouloir, tu ne peux pas parler d’intelligence artificielle parce qu’ils vont penser que tu veux engager moins de monde et ils vont couper dans le budget, faut que tu leur expliques c’est quoi une animatique parce qu’ils vont penser que c’est ça le film, faut que tu leur dises à quel autre film ressemble ton film parce qu’ils n’ont pas vraiment d’imagination, on peut pas dire la vraie raison pour laquelle t’as changé de producteur parce que la sodec est du bord des producteurs et va penser que c’est toi le problème, manque de sensibilité, manque d’imagination, façon de penser le film très américanisée, trop influencé par les médias, etc)

Je n’ai pas grand chose à dire concernant les notes que j’ai reçues du jury suite à la bourse de dev. Il y avait une personne dans le jury qui avait visiblement lu et tripé sur ping-pong, il était très enthousiaste envers le projet (ça m’a rendue de bonne humeur). Un autre membre du jury me demandait de préciser quelque chose qui avait pas vraiment besoin d’être précisé à mon sens. Faut dire que j’étais très très échaudée par l’expérience un peu traumatisante que j’avais eue à court écrire ton court, quand 12 personnes donnaient leur avis pendant 45 minutes. J’ai failli demander à ne jamais prendre connaissance des commentaires de la sodec. Mais j’ai senti que ça aurait fait mauvaise figure.

On m’a dit que tous les dossiers avaient été divisés en deux piles, et que dans mon groupe de 30 dossier, j’avais été classée en première position. J’ai pris cette nouvelle flatteuse avec un grooooos grain de sel, parce que je me rappelais qu’on m’avait laissé entendre la même chose quand j’avais fait court écrire ton court, et je suis sortie de ce concours ni en première, ni en deuxième position. Un gars que j’avais rencontré dans un lift à Regard m’avait aussi raconté à quel point il avait reçu plein de commentaires super positifs et encourageants de la sodec, mais qu’au final son projet avait pas passé. Il était resté très amer qu’on lui ai insufflé autant d’espoir, qu’on lui ai fait croire que ça passerait comme une lettre à la poste alors que c’était pas le cas – d’autant plus que quand tu rates la sub du programme émergeant, ton projet est barré, tu peux même pas t’essayer avec dans le programme régulier. Bref: si je reçois des fleurs, je sais que ça veut rien dire.

Avant de racrocher, le chargé de programme de l’émergeant, je sais pas si c’est le titre exact mais en tout cas c’est lui aussi qui était chargé de court écrire ton court, m’a dit: “fais-moi un chef-d’oeuvre.” Il voulait m’encourager, me cheerleader. Il croyait en moi, j’étais un poulain de court écrire ton court, il misait sur moi; et il avait une relation quasi paternelle avec nous autres. Souvent j’ai repensé à cette phrase pendant le processus. Je lui répondais dans ma tête: “j’essaye, rené… j’essaye fort… mais les conditions sont pas favorables!…”

Aussi, pour le programme émergent de la sodec, le jury est un jury d’internes, c’est pas un jury de pairs. Ça a donné une situation très weird: quand on a une bourse de la sodec dans le volet émergeant, ça vient avec 3-4 ateliers obligatoires à l’INIS. On avait eu la bourse de développement et on développait pour appliquer en production. Un de ces ateliers s’appelait: “Réécriture et retour critique en fiction”. En gros, c’était: “comment prendre les commentaires du jury.”

Ce qui s’y est dit était affolant pour moi (il faudrait que je parle de la citation de joni mitchell ou d’avec quelle anecdote le prof a starté le cours… j’ai déjà parlé du fait que je croyais beaucoup au premier jet, et qu’à l’inis un premier jet c’est nécessairement d ela bouette, donc voilà). Et je sentais que beaucoup de choses qui se disait ne faisait pas de sens, compte tenu de mon expérience en BD. Je ne travaille tout simplement pas comme ça. Je choisis avec parcimonie les gens qui me donnent des commentaires, parce que je sais que la création est quelque chose de très fragile, et que c’est inutile de recevoir de l’influence de quelqu’un qui n’est pas sur la même longueur d’onde. Je ne suis pas faite de rock et je suis influençable; des fois je vais croire ce qu’on me dit et je vais changer des choses qui au fond m’éloignent de ce que je voulais dire. Ça m’est arrivé pendant Court Écrire ton Court.

Donc il se disait des choses parfois absurdes, parfois violentes, et personne des sages étudiants de la classe n’osait rien dire: parce qu’un observateur de la sodec était silencieusement assis dans le fond de la classe et nous watchait. (Un possible membre du jury??) Je me sens tellement comme si il fallait surtout pas être un “mouton noir” en présence de la sodec, qui est là et qui nous surveille. Tout le monde acquiésait silencieusement ou abondaient dans le sens du prof comme des bons élèves.

Le jury du calq

Le jury du calq est un jury de pairs. On peut choisir d’avoir un jury de monde dans le même domaine ou un jury pluridisciplinaire.

J’ai fait deux demandes de sub en film au calq. Un fois en genre 2019 ou 2020 pour le long-métrage de Pervitine, avec Johannie et Jean-Sébastien de la maison de prod Sport. On l’a pas eu, et je regarde aujourd’hui ce que j’ai fourni et je pense que c’est très normal qu’on l’ait pas eu: le matériel que j’ai fourni était un peu indigeste (une “animatique” avec presque aucun dessin, juste du texte). J’étais très étonnée et flattée que Jean-Sébastien ait passé au travers au complet. La deuxième demande de sub, c’était celle de mon présent petit film, La mort de la reine. On a eu la sodec, et on a pas eu le calq.  Dans le retour du jury, on avait une très bonne note pour la partie créative, et une très mauvaise note pour la partie administrative. Le pourquoi était un peu flou.

J’ai fait je sais pas trop combien de demandes de sub en BD. J’en ai fait pas mal. Au moins 4-5 demandes de bourse en création, et peut-être le double en bourses de déplacement. J’ai eu plus de refus que d’acceptation, donc je suis quand même pas mal habituée. J’ai reçu plus d’argent du CAC que du CALQ, va savoir pourquoi.

J’ai aussi moi-même déjà été jury. J’ai été jury du Calq deux fois et au CAC une fois. Ou attends, c’était au cac deux fois et au calq une fois? Je suis plus sûre! En tout cas, j’ai pu voir constater comment ça se passait, ce qui était plus important et ce qui l’était moins, et aussi à quel point ça reposait beaucoup sur la chance. C’est tellement une question de personnalité de jury. On peut envoyer exactement la même demande à deux jurys différents et avoir une réponse complètement différente. Aussi, le texte est beaucoup moins important que le matériel d’appui.

Ça aide aussi beaucoup de pas être plate. Après avoir lu 10 dossiers, quand je tombe sur un texte qui ressemble à un travail scolaire, je commence un peu à lire en diagonale. Quand le texte a une personnalité/du style, ça me réveille un peu. Bref je suis pas sûre que c’est une bonne idée faire écrire mes demandes de bourses à ChatGPT.

La principale affaire que j’ai appris, c’est que le milieu des arts étant petit, quand je lisais une demande de quelqu’un, souvent je savais c’était qui, et certaines dossiers ont fait monter ou baisser cette personne dans mon estime. Je suis sensible à la bullshit. Je suis sensible à l’authencité. Depuis ce temps, quand je fais des demandes de bourses, particulièrement quand c’est un jury de pairs, j’estime que le dossier que je présente me représente personnellement comme artiste et l’authencitié est très très très très importante. C’est pas juste une demande de sub, c’est aussi une façon de me présenter auprès de collègues, qui forment le jury. Même un dossier qui est rejeté peut laisser une marque chez les gens qui l’ont lu.

La dossier de sub

On pense des fois que la demande de bourse, c’est le truc un peu chiant qu’on doit faire avant que le projet commence. Pour moi, à ce moment-là, le projet est DÉJÀ commencé. Ça fait partie du projet. C’est une façon de se mettre dans le mood, de jeter les bases. Les bases doivent être solides, d’abord pour moi-même. Et si ce qui en émane convainc les autres (et si l’échéanceir et le budget ont de l’allure), c’est gagné.

Pour la sodec, on m’a demandé de faire un paquet d’affaires que j’avais pas besoin de faire. Puisque le film était un genre de Fantasia de Disney, c’est-à-dire muet synchronisé avec de la musique classique, je suis alllée faire directement l’animatique. J’avais besoin du mood de la musique pour créer les images et imaginer les mouvements. L’animatique était finie pour la demande de sub en prod (j’ai appris plus tard que normalement, l’animatique c’est une étape qu’on fait pendant la prod).

Mais ce qui était demandé, c’était un scénario. Et si possible, un storyboard. Je me disais: voyons donc, j’ai une animatique, c’est quoi le rapport d’écrire un scénario à partir de quelque chose qui parle 1000 fois plus et qui est plus avancé? – J’ai demandé au chargé de projet de la sodec à savoir si je pouvais juste pas remettre de scénario, vu que j’avais déjà l’animatique. On m’a dit que ce serait pas un problème.

Mais c’est arrivé qu’on nous dise que c’était pas un problème, et que finalement à la fin c’était un problème. Un truc en rapport avec le budget de développement. Paraît-il qu’on nous avait dit “ah vu que vous savez pas encore si vous avez le calq, mettez-le pas dans le budget, vous pourrez le changer plus tard” – et finalement quand on a voulu le changer, on nous a dit “non, vous pouvez pas changer le budget”. Cette petite embrouille a fait perdre de l’argent à la maison de prod – parce qu’elle pouvait garder pour elle seulement un pourcentage du budget total et là le calq n’allait pas être compté dans le budget total. Je sais pas si vous suivez, c’est un peu technique, mais c’est juste un autre moment où je me suis dit: “voyons donc, la sodec est donc ben inflexible…”

On nous a dit que de pas faire de scénario était pas un problème, mais on a pas pris de chances: j’ai fourni un scénario. C’était ridicule… je regardais mon vidéo et je tentais de le retranscrire avec des mots dans finaldraft, un logiciel d’écriture de scénario de film avec leurs normes super strictes -parce que c’est IMPENSABLE d’écrire un scénario avec une autre police que Courrier et avec un grosseur de point autre de 12 (inflexibilité…). Retranscrire en mots ce qui se passait dans mon animatique, c’est un exercice très très très difficile! Je ne suis pas une littéraire, ya beaucoup de trucs que j’ai dessiné que je savais pas comment décrire. Ça sonnait comme un bûcheron et la poésie visuelle était gâchée. Je me sentais tellement nulle, j’étais pas sûre que j’allais convaincre qui que ce soit avec ce scénario (avec l’animatique, oui).

On m’a aussi fait faire un storyboard. J’en avais pas besoin, vu que l’animatique était déjà faite. Mais bon je me suis dit que ça pourrait me servir plus tard.

On m’a aussi fait faire une bible de personnages et de lieux, avec des turnarounds (les personnage de dos, de côté, de 3/4, de face, comme dans les productions commerciales), un moodboard. J’ai jamais fait ça en BD. J’ai évidemment un cahier avec des notes, avec des sketchs de décors, avec des notes sur les persos, mais c’est quelque chose que je construis au fur et à mesure que j’avance dans le projet, c’est jamais quelque chose que je fais AVANT de commencer. C’est pas comme si j’allais avoir une équipe, j’allais animer toute seule, avec un assistant à la couleur seulement. On m’assurait que c’était bien de le faire, et quand j’en ai parlé à Julie Charette, qui est passé par le même chemin de financement par la sodec, elle m’a dit genre “hein, ils t’ont fait faire des turnaround??”.

Et tant qu’à être obligé de faire toutes ces choses pas nécessaires, je me suis dit que j’essayerais de trouver un moyen de me faire du fun à le faire. J’ai tout fait sur papier; je suis allée imprimer toutes mes images au bureau en gros, j’ai sorti ma colle et mes ciseaux, j’ai collé tout ça sur du papier vert fluo et j’ai décoré les bords avec du washi tape. Je voulais que ce soit un chef-d’oeuvre. Quand tu te fais chier à faire quelque chose, ça paraît; donc j’ai cherché à trouver ça plaisant.

Au final, si j’avais pas eu de demande de sub à faire, j’aurais pas fait tout ça. Mais là il fallait bien cocher toutes les cases demandées. On m’a fait sentir que ça prend juste un cheveux de travers pour perdre des points et se faire tasser. A-t-on été trop prudent? On a pas été “trop” prudent vu que le projet a réussi à se faire financer. Mais est-ce que j’avais réellement besoin de faire tout ça? Je sais pas trop…

Plaire

On doit séduire un jury, c’est ce qui nous est demandé. Dans les premières minutes de la première plénière de Court Écrire ton Court, l’animateur n’aurait pas pu le dire plus clairement: il disait de nous que nous étions des “courtisans et des courtisanes”.

Il faut plaire au jury, il faut plaire à son producteur, il faut plaire aussi aux gens avec qui on veut travailler. On veut plaire au distributeur, aussi des fois c’est le distributeur qui veut plaire. Je me souviens, lors d’une réunion zoom avec un des distributeurs qu’on magasinait, que j’ai entendu une phrase flatteuse de leur part, concernant ma popularité. J’ai pas aimé ça. J’ai comme senti un climat de séduction. Moi je me cherche des collaborateurs avec qui je suis sur le même pied d’égalité, je n’aime pas les rapports de force de pouvoir ou de popularité.

Plaire met des masques entre le gens, plaire ça enlève l’authenticité. Mon art est esssentiellement basé sur l’authenticité, quand je dois jouer ce genre de jeu, je me sens tout croche, je m’éloigne de mon coeur. C’est ça que j’avais senti pendant court écrire ton court: j’avais tellement été barouettée à gauche et à droite que j’avais perdu la connexion avec mon coeur.

Je le dis souvent maintenant, mais j’aimerais vraiment trouver un producteur avec qui j’ai la même relation que celle que j’ai avec Luc, mon éditeur de Pow Pow. Personne n’est le boss de personne. Les commentaires sont peu nombreux mais ils sont très justes. La transparence est totale. Transparence avec les auteurs, envers les autres éditeurs, envers les différents acteurs du milieu, envers les organismes subventionnaires aussi. Et l’amour est réel. J’ai pas encore trouvé, mais je continue de chercher.

– La confidentialité

Il n’y a que dans le monde du film et de la télé que j’ai eu à signer des contrats avec une clause de confidentialité.  Avec l’ONF, avec Embuscade, avec le gros laboratoire (l’émission de télé), tout le temps il y avait une clause de confidentialité.

Ce qui me dérange, c’est que tu parles à qui, quand t’as l’impression de te faire maltraiter? Tu peux pas parler publiquement de ton expérience? Tu peux pas parler des choses qui ont moins bien marché?

Il règne une espèce d’ambiance de choses cachées. À trois reprises, dans les demandes de sub, on m’a dit “je pense qu’il vaudrait mieux ne pas mentionner ça”.

Additionne ça aux masques de la séduction, et ça donne un milieu dans lequel c’est ben difficile de naviguer quand t’es moindrement un petit peu sur le spectre de l’autisme.

L’affaire vraiment terrible dans tout ça, c’est que ça donne un climat de peur. Il y en aurait pas de “meetoo” si yavait pas de climat de peur.

J’ai jamais senti ce climat de peur dans le monde du livre. Le monde en arrache en sale! Et il y a des affaires stressantes, mais le marché du livre est un marché très solidaire avec beaucoup de transparence. Par exemple, jamais Luc ne me l’a caché quand il a eu des difficulté financières, il m’en parlait très ouvertement.

Quand j’ai parlé aux distributeurs, j’avais parfois de la difficulté à saisir c’était quoi leurs intérêts. C’était toujours pour le bien du film, on prenait les décisions en fonction de ce qui était mieux pour le film. Je leur posait des questions sur leurs intérêts à eux, mais la question était détournée. Si je veux comprendre le rôle et les limites du distributeur, il me faut plus d’infos que ça… Welcome aboard ont été les seuls qui ont été très transparents là-dessus, ils me parlaient de comment il étaient financés et la limite de ce qu’ils pouvaient faire, j’ai beaucoup apprécié ça.

Il était jamais possible pour moi de parler directement à la sodec, il fallait toujours passer par le producteur. J’avais aussi l’impression que c’était mal vu de by-passer ma productrice pour parler directement au boss de la boîte de prod, même si c’est lui qui exigeait des trucs avec lesquels j’étais pas d’accord. J’ai souvent demandé à lui parler et c’était toujours remis à plus tard.  Et puis à un moment donné, j’apprenais que la conversation avait eu lieu entre eux, ans moi. Ça ça a créé beaucoup de malentendus, parce que l’information était souvent déformée. Je me suis retrouvée butée à parler à des intermédiaires. La communication était difficile et hiérarchisée.

Les distributeurs se connaissent

Une des affaires les plus le fun à découvrir, c’était le milieu des distributeurs. Pour le court-métrage, il y a quand même beaucoup d’offre, et ils se connaissent, semblent complémtentaire. Je n’ai pas senti de compétition entre eux. Il doit sûrement y en avoir une, mais peut-être comme les librairies indépendantes (qui sont en “compétition” mais qui forment un réseau hyper dynamiques, qui se sont vachement tenu les coudes quand, mettons, est arrivé le covid. Il ont créé un système solidaire extraordinaire et le monde du livre est sorti absolument gagnant de cette grosse crise. Le marché du film aurait pu être aussi dynamique que le marché du livre lors de la covid, je veux dire, qu’est-ce qu’on avait à faire d’autre que de regarder des films? Mais le système était trop rigide, reposait trop sur la projection en salles, et il a complètement manqué le bateau.)

Les distributeurs de livre sont-ils en compétition les uns contre les autres? Je vais vous avouer que je ne suis pas très au fait. Chose sûre, les distributeurs de court-métage couvrent un territoire beaucoup plus grand. 

Un truc est en train de se jouer dans le monde de la distribution. Pour avoir des crédits d’impôts, il faut trouver un distributeur. Mais les distributeurs doivent souvent s’engager trop tôt dans le processus, alors que le film est même pas fini de monter, et c’est devenu un problème – surtout que depuis que h.264 a arrêté de distribuer des courts-métrages, il y a eu un petit embourbement de demandes. Les distributeurs cherchent à faire changer cette règle, pour alléger leur calendrier, mais surtout pour au moins VOIR le film à peu près fini avant de s’engager à le distribuer – ce qui, je crois, est la moindre des choses.

Je ne me suis pas encore rendue à la distribution (par un distributeur) mais j’ai très hâte d’arriver là. Encore faut-il que je trouve quelqu’un d’ouvert à ce qu’on fasse une première sur internet, avec tout ce que ça implique. J’ai pas encore trouvé quelqu’un de très chaud à cette idée.

J’ai fait la distribution moi-même pour mes 4 petits films auto-gérés. C’était parfois simple, parfois complexe. Je vois comment ça peut devenir cher. Je vois comment ça peut devenir lourd. Slamdance m’a demandé de remplir un nombre incalculable de formulaires (avec souvent des informations en double – triple – quadruple), il fallait que je fournisse un kit de presse, il y avait des rencontres zoom, ça arrêtait pu. Je me dis que pour Cannes, ça doit être intense.

J’ai aussi utilisé une plateforme pour envoyer mon film dans certains festivals, quand j’avais pas le choix. Dans mon cas c’était “film freeway” mais je sais qu’il y en a d’autres. C’est devenu courant: tu uploades le screener, des stills, ta bio, ton contact, tes infos, tout au même endroit. Et après tu peux naviguer dans une liste de centaines de festival et peser sur un piton pour leur envoyer ton film (moyennant les frais d’inscription, et freeway doivent se prendre une cote). Faut faire attention parce qu’il y a des festivals qui n’existent pas et qui font juste prendre ton cash. Ça fait aussi du spam. J’ai commencé à recevoir des courriels de pub de festivals pour que j’y soumette mon film, avec un voucher de genre 20% sur l’inscription. La première fois j’étais flattée parce que je pensais qu’un festival s’intéressait vraiment à mon film, mais après le 2e et le 3e et le 4e j’ai compris que c’est vraiment une buisiness…

Ça m’est aussi arrivé d’avoir des courriels d’invitaitons à soumettre dans un festival parce que mon film avait été dans le line-up d’un autre festival. J’ai reçu des invitations à soumettre juste parce que mon film avait été à Slamdance, et on me remettait un voucher qui me laissait l’inscription gratuite. (ou un voucher qui me donnait juste un rabais, dans tel cas je suis genre “euh fuck off”). Une fois, j’ai soumis mon film gratuitement de cette manière, et quelques jour plus tard, j’ai reçu un email comme quoi mon film avait pas été pris.

Ça me rappelle aussi quand un festival québécois m’a envoyé un email pour que je considère leur soumettre croute-mousse! J’étais là “ben ok! :)”, et j’ai payé les frais d’inscription. Pis le film a pas été pris. J’étais là, “come on???”…. Je commence tranquillement à me dire que je ne vais envoyer mes films qu’aux festivals que je choisis, et écarter d’emblée ceux qui m’écrivent pour me le demander. À un moment donné, là!….

– La contrainte de temps

Les règles qui concernent combien un producteur peut se mettre dans les poches par film sont très strictes. Un producteur ne peut pas empocher plus qu’un certain pourcentage du budget total du film. Et paraît-il que ce montant est très petit, trop petit pour la charge d’un film, et que c’est pas mal rushant.

Ce qui fait que les producteur vont essayer de demander le plus d’argent possible.

Ce qui fait aussi que le producteur va être amené à limiter le temps que peut prendre un réalisateur sur son film. Le producteur sera payé le même montant si le film prend 2 ans ou 9 ans à faire. Pour certains producteur, c’est pas important. Pour certains autres, ce l’est.

Il faut aussi payer des intérêts aux banques pendant la production, parce qu’on fait des prêts. On a pas tout l’argent d’un film quand on a une sub, puisqu’il y a un montant qu’on ne va recevoir qu’après que le film soit fini: les crédits d’impôts. Aussi, à chaque année, le produteur doit engager des frais de comptabilité pour garder le dossier ouvert.

Ce qui fait que faut pas qu’un film prenne trop de temps à faire.

Il peut exister aussi une pression par rapport au deadline d’un film, à cause du rush hour des compagnies de post-prod, et/ou parce qu’il y a la stratégie de festivals. Si on vise Canne et que la date limite c’est le 31 janvier, si on finit le film le 5 mars, va falloir attendre plus d’un an après sa fin pour enfin voir sa première.

Il n’y a pas du tout cette contraine chez Pow pow. On paye pas assez le monde pour ça de toute manière. J’ai commencé Football-Fantaisie, avec Luc on savait déjà qu’on allait le sortir chez pow pow. Je pensais que ça prendrait 4 ans, finalement ça en a pris 6. Ça n’a jamais été un problème. Parce que même si je voyais régulièrement Luc pour lui faire lire mon découpage, checker mes pages, parler des possibilités de l’objet livre, on n’était pas liés financièrement. Donc, il n’y avait pas de réelle contrainte de temps autre que “ah j’aimerais ça que ça sorte pour le salon du livre de montréal”.

Souvent je demande à Luc: c’est quoi les livres qui s’en viennent? Luc me parle des livres qui sont sous les presses de l’imprimeur, mais quant aux projets des prochaines saisons, on ne sait jamais vraiment. On ne paie pas assez les auteurs pour leur imposer des deadlines stricts. Il y a un livre de richard suicide, un livre de michel hellman, un livre d’antonin buisson, un livre de saturnome et un livre de sam cantin qu’on attend depuis plus de nombreuses années, et on les prendra quand ils viendront.

S’ils viennent un jour. Parce que ça arrive que des projets avancés partent pour le cimetière des projets, et il faut vivre en paix avec cette réalité.

Je me demande ce qui se passe quand un film avorte en pleine production. J’ai le feeling que les conséquences sont pas mal plus lourdes.

 

les crédits d’impôts 

Une grosse partie du budget d’un film, ce sont les crédits d’impôts. Je ne comprends toujours pas pourquoi ça s’appelle comme ça. Au début je pensais que ça s’appelait comme ça comme quand tu dois payer de l’impôt au gouvernement, mais finalement t’as tellement de déductions que tu paies rien. C’est pas de l’argent nouveau, c’est juste une réduction de ta dette.

Mais ça a l’air que c’est pas ça, parce que c’est vraiment traité comme si c’était un chèque. Si t’as droit au crédit d’impôts, ya un pourcentage de ton budget qui va t’être remboursé quand le film est fini.

Mais vu que c’est un pourcentage, ça veut dire que c’est pas un montant fixe. Ça peut avoir certaines conséquences en cascade. Exemple: on a fait un budget dans lequel on avait un montant de la sodec, un montant du calq et les crédits d’impots. Ça fait un budget global de X. Mais finalement, on a pas réussi à avoir le calq. Mais là c’est pas juste le montant du calq qui nous était enlevé, ça voulait dire aussi moins de crédits d’impôts! Donc si on avait pas réussi à se chercher 50 000$ avec le calq, en réalité, notre budget était coupé de 60-65 000$ (je connais pas le vrai montant).

Le crédit d’impôts vient aussi avec des règles. Je ne les connais pas toutes (et des fois je sais pas si la règle vient des crédits d’impôts ou directement de la sodec), mais yen a au moins une que je connais: si tu veux des crédits d’impôts en production, tu dois avoir un distributeur reconnu.

Et vu que les distributeurs reconnus sont spécialisés dans les festival, le festival est le canal de diffusion par défaut, et c’est très difficile de développer la diffusion sur le web, parce que ça veut dire: première sur le web = pas de festivals A = pas de distributeurs intéressés = pas de crédits d’impôts.

Je suis tombée par hasard sur une information très intéressante. Il existe deux crédits d’impôts pour le film à la sodec: le crédit d’impôts à la production, et le crédit d’impôt au SOUTIEN à la production. Selon ce que j’ai compris, c’est un montant plus petit, qui existe pour les compagnies étrangères qui tournent ici pour les encourager à engager des québécois. Les règles sont plus souples, il n’y a pas d’exigence de distributeur, par exemple, et c’est ouvert aussi bien aux étrangers et aux québécois. Mais le crédit d’impôt est plus petit, et vu que le producteur cherchera à aller chercher le plus d’argent possible, cette option ne sera pas envisagée.

Je peux pas comparer avec le monde du livre. Est-ce qu’il y a des crédits d’impôts pour les éditeurs? Il semble que oui, il me semble que Luc m’avait dit qu’il l’avait envisagé mais qu’il l’avait pas fait pour je sais pas trop quelle raison. À vérifier. En tout cas, c’est pas mal moins monnaie courante qu’en films.

 

les assurances

Je ne me suis malhereusement pas encore rendue jusqu’au assurances dans mon périple de financement de films, mais j’en ai eu quelques avant-goûts. On m’a dit que je ne pouvais pas travailler dans mon atelier, qu’il était prérérable que je travaille dans les studios de la maison de prod, pour des raisons d’assurances. Qu’on payait une assurances “au cas qu’on ait oublié de payer les droits de quelqu’un”. Que les assurances fournissent une liste à cocher, et plus tu coches, moins ça te coûte cher. Donc vaut mieux tout mettre à la même place, faire trois back-ups par jour, et passer un test de santé au téléphone par un médecin qui est payé 300$ pour 15 minute de questions-réponses (ce que me racontait julie charette), pour que l’assurance te coûte le moins cher possible. Je ne sais pas si les assurances sont exigées par qui que ce soit, mais il semble que ce soit la norme.

Prendre le moins de risque possible, c’est quelque chose de j’ai vu passer souvent. Mais je manque d’expérience, parce que je me me suis pas encore rendue à la production. Le plus loin que je me sois rendue c’est: entre le moment où on sait qu’on a la bourse et le moment où la production commence. Donc ça c’est un dossier à suivre.

En livres, ya pas ça les assurances. Si je travaille 7 ans sur un livre et que ma maison passe au feu, ben c’est moi-même si gère les conséquences. Encore, probablement parce que je ne suis pas liée financièrement à Luc pendant la production de mon livre.

 

Le coût de production

Le coût de production est probablement la différence fondamentale entre le milieu du film et le milieu du livre. Un film coûte pas mal, pas mal, pas mal plus cher qu’un livre. En fait, ce qui coûte le plus cher, c’est d’engager du monde.

Ya aussi un paquet de frais supplémentaires. Des frais d’avocat, des frais d’adminitration, des frais de chercheurs de droits, des frais d’assurance, des frais d’intérêts de prêts… il me semble que j’avais entendu dire que la moitié d’un budget de film, c’est juste ce genre de frais.

C’est possible de faire des films en engageant pas beaucoup de monde, et ces films-là sont financés par le conseils des arts provinciaux et fédéraux. Si on cogne à la sodec, c’est parce qu’on veut travailler avec plus de monde. Je parle encore des courts-métrages, hein. Le long-métrage a une game semblable mais il y a un paquet de subtilités supplémentaires que je connais pas.

C’est aussi pour pouvoir louer du bon matériel et pouvoir louer un bon studio, mais en gros c’est pour payer les compagnies qui passent le matériel et les compagnies qui passent les studios, donc au final ça revient à “payer du monde”.

La sodec est là pour le monde. Elle va s’assurer que tout le monde est payé décemment. Il faut payer le monde à la hauteur de ce qui est reconnu par tous les syndicats, et il y a un vérificateur qui va devoir tout repasser les factures que tout le monde a fait aux producteur.  On m’a d’ailleurs dit que ce vérificateur de la Sodec, c’est la production qui devait le payer?? hahaha un vérificateur de la maison est obligtoire mais il n’est pas gratuit, je trouvais ça tellement absurde que je me suis fait une note pour revérifier cette information. Pis je l’ai pas encore revérifiée.

Un livre, ça va coûter de l’argent à l’éditeur, mais au moins, c’est un objet qu’il vend, donc il a un espoir de revenu, qui a l’air un peu plus “gageable” que dans le monde du film. Le livre, c’est un objet physique concret avec une valeur en ressources. On paie pour produire une patente qui vient d’arbres coupés, qui a un coût, un poids, et qui reste dans une bibliothèque (privée ou publique).

Un film, c’est pas mal plus flou qu’avant. Avant il y avait les ventes de cassettes ou de DVD, maintenant il ne reste plus grand chose de physique. Et je pense que le millieu souffre beaucoup de ça, de plusieurs façons – parce que oui, on a plus de revenus concrets en vendant un objet physique, mais aussi parce que quand il n’y a pas d’objet physique, c’est plus difficile à curater (curater? curationner? curer??). Par exemple, il y avait des clubs vidéos avec le choix du staff, les recommandations de quelqu’un au comptoir (la job que fait le libraire dans le monde du livre). Aujourd’hui, la bibliothèque de streaming est infinie et les algorithmes de recommandation sont un peu de la marde + pollués par la pub.

Bref, le coût de production d’un film, c’est essentiellement du service. Engager du monde. Quelque chose qui a pas de valeur de revente.

Festivals

Un festival de BD et un festival de film, ça a quelques trucs en commun, mais il y a des différences assez fondamentales.

Déjà, la principale activité du festival de BD, c’est de vendre des livres. Comme auteur, quand on est chanceux, il y a du monde qui font la file pour nous voir, nous donner de l’amour, et on fait un petit dessin dans leur livre. J’adore les festivals de BD, j’adore rencontrer les lecteurs, un par un. C’est un dialogue précieux, c’est une rencontre intime. Généralement je sais jamais quoi dessiner comme dédicace, donc pour me donner des idées je pose une question à la personne qui vient faire signer (genre: qu’est-ce que t’as fait la fin de semaine dernière, comment tu te sentais hier, etc). Et généralement ça me donne beaucoup d’information sur la personne. Je vois comment elle s’exprime, j’ai des fois des petites anecdotes, souvent j’en apprends sur leur travail. Ce contact est vraiment privilégié, et c’est une des raisons qui m’encouragent à continuer à faire de la BD. Parallèlement, je suis aussi là pour vendre les livres de pow pow, les livres des autres, surtout dans les festivals plus petit. J’ai lu tous les livres de pow pow, donc je peux en parler si des gens posent des questions, je peux faire des recommandations. C’est aussi l’occasion de revoir mes collègues bédéistes, parce que c’est pas tout le temps qu’on signe des livre, donc on a le temps de se donner des nouvelles et de boire la bière que Luc amène (parfois en cachette).

Je sais que quand je suis dans un salon du livre ou un festival, je suis en train de faire un petit peu d’argent, qui sera cumulé dans le chèque de l’an prochain. On est pas payé quand on va dans un festival, mais quand on est présent, on vend pas mal plus de livres que quand on est pas là.

L’ambiance est tout le temps le fun, dans les salons et les festivals. Quelque chose de particulier avec le monde de la BD, c’est que ça ne rapporte tellement pas d’argent, qu’il y a une espèce de sélection naturelle qui se fait: si quelqu’un est pas absolument passionné de BD, il lâche vite parce qu’il se rend bien compte qu’il pourra pas payer son loyer avec ça. Ça fait qu’il ne reste que les vrais believers. Aussi, c’est un métier très solitaire, on est pendant de trèèèèès longues périodes de temps tout seul devant notre table à dessin, ça fait que quand je rencontre les autres bédéistes dans des événements, ça reste des rencontres de plein de loners. Il y a des gangs, mais elles sont pas fixes, elles sont très poreuses. C’est sûr que je suis amenée à me tenir plus avec le monde de pow pow parce que je signe sous leur chapiteau au festival de BD de montréal, mais je vais au party de front froid dans hochelaga le dimanche soir, ya d’autre monde d’âges différents aussi avec qui je vais prendre une bière, sans qu’il y ait “d’écurie”. Il y a très peu de compétition dans le milieu de la BD, et une très grande camaraderie.

Mon expérience des festivals de film est pas mal plus mince, donc j’ose pas tirer des conclusions trop vite, mais ce qui me saute au yeux c’est qu’il y a beaucoup de gangs. Un film, ça se fait en gang, et les gangs restent ensemble pendant tout le temps du festival. Ça veut pas dire qu’il n’y a pas d’échanges, mais c’est pas mal moins poreux qu’en BD. Il y a une espèce de sentiment d’appartenance très fort quand on fait un travail en équipe, ce qui fait qu’on se mêle moins aux autres gangs, parce qu’on reste “ensemble”.

Aussi, il n’y a pas de rapport individuel avec le public. Pour le court-métrage, un film est projeté dans un programme avec 4-6 autres courts-métrages, avec des choix éditoriaux de programmation qui parfois avantagent ou désavantagent certains films. Il n’y a rien à vendre, on est surtout là pour présenter le fruit de notre travail au monde de la communauté du cinéma. Ah oui parce que contrairement au festival de BD de montréal, par exemple, qui est gratuit sur la rue st-denis et qui attire pas mal n’importe qui qui passe par là, une passe de festival coûte quelque chose, donc ceux qui vont voir les films sont essentiellement des gens du milieu du film ou des cinéphiles. Ya pas vraiment possibilité que quelqu’un se trouve là par hasard, par curiosité, comme c’est le cas dans le festival de BD de montréal.

J’ai assisté à une couple de festivals qui ont présenté un de mes films: Regard, Québec, Knowlton, Les sommets de l’animation, Fantasia, Ottawa et Slamdance. Slamdance c’était quelque chose d’un peu différent aussi, parce que c’était aux états-unis, qui a un marché différent: beaucoup de monde présentaient un film là dans l’espoir de se trouver un distributeur, donc il y avait beaucoup de représentation; cartes postales, posters, beaucoup de merch (des pins, des stickers, des biscuits, des allumettes, des macarons, des casquettes, des t-shirts, des patchs…) – j’en ai vu un peu à Regard aussi, un peu moins dans les autres. Je me demande à quoi sert cette merch, au Québec.

(En terme de “feeling de gang”, le cinéma d’animation est un peu différent du cinéma de prise de vue réelle, peut-être dû au fait que c’est aussi un métier solitaire comme la BD?… bref le feel m’a semblé un peu moins hostile, peut-être parce que plus niché)

Sinon, je trouve très très difficile le rapport avec le public, il n’y a pas du tout ce rapport intime que je chéris tant avec mes lecteurs de BD. L’oeuvre est présentée dans une salle avec pleine de monde, ce n’est pas un rapport d’un à un comme le livre, il y a des effets d’entraînement (une salle est comme un organisme en soi, les rires et les pleurs sont comme contagieux). Ça me rend vraiment moins à l’aise.

Je trouve ça très très difficile d’assister à une projection d’un de mes films. Je ne suis pas habituée à être PRÉSENTE lorsque l’oeuvre est consommée. En BD, le lecteur lit le livre sans que je sois là, et je n’ai des retours que lorsque la lecture est terminée. En film, quand je suis dans la salle, j’assiste à ça LIVE. Moi j’ai vu le film des milliards de fois et je ne vois que les choses qui auraient pu être mieux, je suis hyper sensible aux réactions – ou à l’absence de réaction – du public, et quand les lumières ouvrent après la projection, surtout quand c’est dans une grande salle, je ressens un terrible terrible terrible moment de solitude.

Le pire moment de solitude ça a été à la fin de la projection de Slamdance. J’avais vraiment envie d’aller me cacher et de brailler, j’avais la gorge toute nouée… mais je devais rester parce qu’il y avait le fucking Q&A. Je me sentais tellement pas bien. Je suis restée à côté de Raff, qui avait une vibe Saturnome, pour me donner du courage. L’animatrice a posé la même question à tout le monde (c’était quoi votre inspiration pour votre film?) et quand c’était mon tour, j’ai pris le micro et j’étais vraiment mal et comme je parlais, je sentais que le ton de ma voix allait de pus en plus vers le grave. Rendue à la fin j’étais devenue un vombrissement de balayeuse. J’étais rongée par la honte et j’ai passé le micro. Heureusement, Jamie a commencé son intervention par “like Badminton, I think i’m mainly looking for enjoyment when I do stuff” ou quelque chose comme ça. Cette mini-validation m’a empêchée de complètement sombrer dans le tapis.

Après, quand on sort de la salle, ça aussi c’est un moment stressant. Parce que c’est là la réelle possibilité de contact individuel avec un spectateur. Mais les échanges n’ont aucune comparaison avec la qualité de quelqu’un qui prend la peine de faire la file pour venir te voir. Quand quelqu’un vient, c’est très bref, genre “j’ai aimé ça” pis that’s it, mais le pire c’est quand personne ne vient. La plupart du temps, personne n’est venu.

C’est tellement long et dur faire un film, et après tu le présentes dans une soupe de monde, ça passe très vite et après c’est juste “ah ouin, tout ça pour ça?…” c’est pas mal ça mon feeling quand je présente un film dans un festival. Je commence à m’y faire, aussi c’est plus facile quand les salles sont plus petites. Mais tout le temps j’ai le feeling que les gens n’ont accès qu’à une lecture très superficielle de ce que je fais. C’est pas nécessairement une mauvaise chose.

Le plus possible, maintenant, je m’arrange pour ne pas aller à une projection de mon film seule. Parce que tous les autres réalisateurs qui présentent leur film sont à 99% avec leur gang, on dirait que ça ajoute encore plus à mon sentiment de solitude.

Mais ce qui est surtout le fun dans les festivals de film, ce sont les rencontres qu’on peut faire à l’extérieur des projections. J’aime beaucoup parler technique et esthétique avec le monde d’animation, je me sens comme une alchimiste qui échange des tricks de magie. Un jour peut-être je vais avoir fait des films de prise de vue réelle et je vais pouvoir échanger sur le thème des lentilles de caméra… aussi discuter avec du monde de d’autres pays, ça peut vraiment ouvrir les yeux sur d’autres réalités du métier.

J’aime aussi voir les films des autres. Je vous cacherai pas que j’ai un fort penchant pour les films d’animation et les films expérimentaux. Je trippe moins sur le documentaire, qui a souvent un pacing un peu trop lent pour moi. Et pour les fictions, je suis très difficile, donc je ne suis pas un très bon public. Je rêve de voir de la fantaisie, mais la tendance du moment est plutôt réaliste.

Évidemment on est pas payé quand on va dans un festival de film, en fait on peut peut-être compter le petit montant de droits qu’on fait pour la projection, mais jusqu’ici ce montant a toujours été absorbé par les frais de transport. Généralement, le festival paie pour l’hébergement. Slamdance payait pour rien, mais j’ai pu demander une bourse de déplacement au calq (mon dieu qu’on habite dans un pays cool).

(remarque, si j’avais pas eu cette bourse de 2200$ de déplacement pour aller à slamdance, j’aurais pas eu de rapport d’utilisation de bourse à faire, et il n’aurait pas été “en attente d’approbation” au moment moment où j’ai soumis mon dossier pour la fresque de 36 écrans à 25 000$ et J’AURAIS PAS EU DE EMAIL ME DISANT QUE JE SUIS INADMISSIBLE GODDAMN ITTTTTT)

– Voyages

J’ai été amenée à voyager pour la BD, j’ai fait Angoulême au moins une dizaine de fois, j’ai fait l’escale du livre de bordeaux, j’ai fait une tournée en italie, j’ai fait un festival au mexique, quelques événements au canada anglais et aux états-unis, je fait une expo et du journalisme BD au Japon. Il y a bien une année où j’en ai fait particulièrement beaucoup (2012), mais ça reste peu comparé aux occasions de voyage proposés par le film.

C’est mon film Croûte-mousse qui m’a donné le plus d’opportunités de voyages, et je le sens que c’est tentant d’aller sur place quand le film est sélectionné dans un festival. Beaucoup de réalisateurs que je côtoyais faisaient littéralement des tournées de festival qui étaient back à back, dans plein de pays différents.

De mon bord je deviens de plus en plus écoanxieuse par rapport à tous ces voyages d’avion, en même temps, je le vois bien que juste être présent peut vraiment changer la donne dans une carrière de film. Je suis très tiraillée par rapport à ce que j’accepte de faire pour un film qui tourne. Je préférerais miser sur le local, mais on m’a dit que par exemple, c’était mal vu (ou en tout cas moins prestigieux) de miser sur Ottawa pour une première, parce que c’est trop local.

Je m’étais promis de ne pas faire plus d’un voyage en avion par année, et cette année je suis allée en colombie voir la famille, je suis allée à paris pour parler de Bd parce que j’étais invitée par la Sorbonne, et je suis allée à los angeles parce que Croute-mousse était à Slamdance. Je sais pertinemment que si un jour un de mes films est pris à mettons Annecy, je vais avoir ben ben ben de la misère à dire Fontaine ne je boirai pas de ton eau – et pendant ce temps, la planète se réchauffe en crisse.

La critique

Je connais très peu la machine critique du film, je vais vous avouer, je pense que c’est ce à quoi je vais m’intéresser d’ici les prochaines années. Ma principale portée d’entrée est probablement Alexandre Fontaine-Rousseau, qui est à cheval entre les deux milieux, et qui est critique de cinéma. J’ai vu qu’il y avait des podcasts, lors que la sortie de mon film avec l’ONF j’ai fait des entrevues pour des blogs dont les articles étaient derrière un paywall. Il y a aussi les médias traditionnels (mais ils s’intéressent pas vraiment aux courts-métrages, sauf s’ils vont aux oscars ou à cannes), il y a des revues, web et papier…

Puis il y a Letterboxd. Ça m’est arrivé plusieurs fois qu’un réalisateur du milieu me cite Letterboxd comme étant sa référence.

Honnêtement, Letterboxd me fait très peur parce que j’ai déjà vécu des affaires pas le fun avec Goodread – une autre plateforme où les gens peuvent faire des reviews de livres. Après avoir lu un commentaire négatif avec lequel j’étais d’accord, mon appréciation de mon livre ping-pong a pas mal chuté dans mon estime. J’ai aussi beaucoup suivi les reviews de Football-Fantaisie, je le savais que c’était un peu malsain (surtout pour un tel ovni), et pourtant je pouvais pas m’en empêcher parce que le hasard avait fait que je n’étais pas physiquement présente lors des premières semaines de la sortie du livre, j’étais en colombie. J’étais en craving de retours, quel timing douloureux… (la sortie du livre avait été reportée 3 fois à cause de la pénurie de papier)

Letterboxd par contre n’est pas Goodread. À ce que j’ai pu comprendre, c’était pas mal plus communautaire. Les gens qui laissent des commentaires sur les films québécois sont souvent les mêmes, c’est pas vraiment des reviews mais des fois juste une blague ou un mot de l’esprit ou un commentaire poétique, et c’est une espèce de petite communuauté qui se reconnaît par le pseudonyme, un peu comme dans les forums des années 2000.

Mais à la quantité de fois que ça a été évoqué par des réalisateurs, je constate que ça a l’air d’une plateforme très influente dans le milieu. Je me suis créé un compte, mais je n’ose toujours pas y aller. Les peu de fois que je suis allée voir, je me suis surprise à avoir des pensées malsaines de comparaison.

En ce qui concerne la Bd… c’est quoi la machine critique?… euh… il y a des articles dans les journaux, des blogs, des influenceurs qui parlent de livres, des podcasts, des revues… c’est comme… moins pris au sérieux que le film. Je sais pas encore pour le film, mais je le vois bien qu’en livre, c’est pas une bonne critique qui va faire qu’un livre va vendre. Une bonne critique dans un journal ça va donner un coup de pouce mais c’est très limité; en fait ça va surtout aider si t’es un auteur établi, pas vraiment si t’es un petit nouveau (je parle en terme de ventes de livres). Les prix, non plus d’ailleurs. Ça ne fait pas vendre tant que ça.

Ce qui marche le plus pour vendre les livres, c’est surtout, surtout, surtout: le bouche à oreilles. J’y crois énormément. Souvent, un prix ou une bonne critique va aller dans le même sens que ce qui s’est déjà fait en bouche à oreille, c’est pas l’inverse.

C’est dommage qu’en court-métrage, les films sont si difficilement accessibles que ça empêche le bouche à oreille.

Les prix

J’ai eu quelques prix avec mon film produit par l’ONF (j’en ai eu 4 il me semble). Un de ces prix venait avec une commandite de service: j’ai genre quelques heures de post-prod gratuite dans un studio de Lille, il me semble. J’ai pas encore scoré quelque chose de gros, je sais pas encore si j’arriverai là un jour. Mais les prix sont généralement des prix de commandites de service (qui est quand même assez intéressant parce que ça encourage à continuer; par contre tu sais pas si tu vas t’en servir, parce que tu choisiras peut-être de travailler plutôt avec des gens que tu connais et en qui tu as confiance). Court d’un soir m’a donné deux trophées aussi!

Les prix de films servent surtout au prestige, et le prestige sert à demander des bourses. En fait c’est pas le prestige en soi qui sert à demander des bourses, c’est surtout, je crois, le street cred. Les prix amènent du street cred, mais c’est pas la seule affaire. En tout cas il va falloir que je gagne plus de prix pour creuser cette question.

J’ai été jury pour le festival Court d’un soir parce que j’avais gagné l’année précédente avec mon film de l’ONF. J’ai fait une très mauvaise job. J’ai été jury aussi pour le week-end du cinéma québécois à Fantasia, en…. 2023? 2024? C’était une très belle expérience! Être jury c’était le fun parce que ça m’a forcé à voir beaucoup beaucoup de films, et à être attentifs à chacun d’entre eux, pour les comparer. Il y avait une dizaine de prix (meilleur film, meilleur acteur, meilleur son, meilleur montage, meilleur ci, meilleur ça) donc je devais porter attention à un paquet d’aspects différents. C’était aussi une expérience intéressante de discuter de ça avec du monde qui ont un background complètement différent du mien, en mangeant et en buvant à volonté dans une terrasse à verdun (c’était ça notre paie). Je me rends compte encore que le streetcred a un impact: quelqu’un qu’on connaît, même de réputation, va toujours un peu mieux ressortir que quelqu’un qu’on connaît pas.

Les prix que j’ai eu en BD sont plus nombreux, quelques fois ça venait avec un chèque de 1000$ (bédélys).  Deux fois, j’ai eu un magnifique trophée (bédélys). La plupart du temps, un cadre (joe shuster, bédéis causa (2), prix de la critique ACBD). Je sais pas trop quoi penser des prix en BD, il m’est arrivé souvent de pas être d’accord avec le jury (quoi? Tu as tel livre comme finaliste mais tu le fais pas gagner et tu fais plutôt gagner lui????). Mais le jury, c’est une bébitte à plusieurs têtes avec sa propre âme, qui doit chercher un consensus, donc c’est sûr que je serai souvent pas d’accord avec elle, et c’est correct de même.

Je trouve ça plate quand je vois des auteurs déçus de pas avoir gagné. Mais tsé c’est normal de pas gagner, c’est juste que des fois, c’est un livre dans lequel t’as particulièrement mis du sang et des larmes, et il n’arrive pas à se rendre au top, et c’est une niaiserie qui gagne. Football-Fantaisie a gagné le bédélys contre le petit Astronaute de Jean-Paul Eid, qui est une oeuvre sur son fils handicapé qui a eu pas mal plus de raisonnance dans le grand public que mon livre super niche. Je pense pas que Jean-Paul en a été amer (ou en tout cas, j’en ai jamais entendu parler), mais je me mets à sa place et je sais pas, j’aurais un petit pincement au coeur.

(mais je suis tellement FIÈRE d’avoir gagné pour FF, c’est mon seul très bon livre!!!…)

J’ai un rapport problématique avec les prix, les concours. J’ai été trèèèès accrocs aux prix et concours quand j’étais jeune. J’étais bonne pour spotter les concours où j’étais sûre que personne allait participer, et je m’essayais parce que j’avais plus de chances. Le concours de composition Mozart, le concours de composition Maestra, le concours du festival de Bd de Québec / st-malo de 2008 (on était deux à avoir participé). Les prix me grisaient totalement et c’était quaisment malsain.

Ça avait un bon côté parce que ça me forcait à produire, ça me donnait un deadline. Mais ça me mettait dans une position où je tombais plus facilement dans la comparaison de mon travail avec celui de mes pairs.

Aujourd’hui je me sacre pas mal plus des prix, je le vois comme une bonne tape dans le dos du milieu (ce qui est quand même pas rien), mais je n’y accorde pas aussi d’importance qu’avant, genre ce n’est plus du tout mon moteur, ma motivation. J’aurais VRAIMENT aimé gagner un fauve, juste être sélectionnée pour FF ça m’aurait remplie de joie, mais j’ai manqué mon coup ça m’est pas arrivé. J’étais déçue mais bon!… c’est quand même un fauve. En revanche, au moins 4 libraires sont venus me voir à Angoulême pour me témoigner de leur appréciation de FF – et considérant la surproduction avec laquelle les libraires doivent dealer en France, en soit ces témoignages sont un TRÈS bon prix de consoltation.

Cette année, j’ai envoyé un film à Regard qui n’a pas été programmé en compétition, il était dans un programme thématique (de films expérimentaux) qui n’étaient pas en lice pour un prix. Peut-être aussi parce que c’était projeté dans une plus petite salle, en tout cas à date c’est une des projections que j’ai le mieux vécue.

Toujours, quand je vois les oeuvres des autres, je les compare avec la mienne. Je ne peux rien faire contre ça, j’ai un peu abandonné le combat, ça aura pas le choix de se produire. Des fois ça me fait sentir comme du caca. Des fois, ça me fait sentir supérieure. Ça sent pas très bon comme feeling. Mais des fois ça me donne des idées, le mieux c’est quand je trouve quelque chose de tellement cool que j’ai envie de le copier.

Le risque

FF est un livre très risqué. Je pense que c’est un livre niche. C’est assez noir et blanc, les retours que j’en ai eus; les gens qui lisent beaucoup de BD ont beaucoup aimé, les gens qui ne lisent pas beaucoup de BD ont été complètement perdus et ont décroché. C’est grossier comme conlusion, et c’est sûr que j’aurai jamais l’heure exacte sur l’appréciation de ce livre parce que bon, rare sont ceux qui ont pas aimé le livre à venir me le dire en pleine face.

C’est une grosse brique en couleur, donc qui coûte cher – on a dépassé la barrière psychologique du 50$, qui a pas mal refroidi les ventes.

C’est un livre qui est difficile à lire, parce qu’il y a une langue inventée par traduite, de l’anglais pas traduit, des défauts de langage, des fautes d’orthographe. Aussi, je l’ai fait sans m’en rendre compte mais ça m’a été rapporté beaucoup de fois que ça jouait avec les codes du découpage de BD – donc quelqu’un qui est pas habitué, il se sent perdu aussi. Il y a somme toute très peu de texte lisible, c’est une BD d’action qui est surtout portée par l’image – de quoi rebuter les littéraires qui prennent des livres dans l’intention de les “lire”. Il y a beaucoup de gens qui décrochent quand ils ne comprennent pas; dans FF, il y a beaucoup de choses qu’on ne comprend pas, mais ça fait partie du chaos du récit (c’est un récit sur le chaos).

Bref, c’est pas un livre facile. C’est un livre risqué. Moi je pense que c’est un livre bizarre mais qui a une personnalité, et qui ouvre les possibilités. C’est un objet qui a été réfléchi, c’est un livre qui ne comporte aucune typo à l’ordinateur, qui incorpore les crédits dans l’esthétique, qui a une entracte, qui pousse plus loin ce à quoi tu t’attends quand tu pognes une BD… La façon dont je l’ai faite aussi est spéciale, je l’ai fait pendant 7 ans sans demander de subs ou d’avances, je l’ai sortie en feuilleton dans une revue autogérée qui explorait les possibilités du livre (sans copyright et sans mon nom écrit nulle part dans le livre)…. J’ose espérer que c’est un livre qui va inspirer du monde, qui va faire des petits, qui va se trouver une place dans l’histoire de la BD québécoise – je sais ça sonne un peu péteux, mais j’y crois pour vrai. Je pense que c’est un livre qui va avoir un impact sur le long terme.

(j’avais demandé une sub au cac et au calq au début du projet, que je n’ai pas eue. Je me doutais que ça arriverait, c’est un livre extrêmement difficile à résumer, ce qui est généralement pas un bon signe quand tu veux des sous).

C’est aussi une BD extrêmement cinématographique. J’aimerais beaucoup l’adapter en film d’animation, et ces derniers jours, comme tous les projets sont à l’eau,  je commence à y penser plus sérieusement.

Mais wow. Comment arriver à financer un tel risque? Comment le transformer en oeuvre finançable, SANS LE DÉNATURER? Je côtoie la Sodec depuis 2019 et je le vois bien que c’est une trajectoire où le risque est généralement évité.

Et le récit ne respecte absolument pas les codes du cinéma, même si je crois qu’il est adaptable. J’ai l’impression que ça va donner un film très difficile à regarder, dans le sens où il va falloir que tu le voies 2-3 fois pour tout comprendre – ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup de personnages. C’est sûr qu’il y aura une job de coupure, mais je dois quand même garder le côté foisonnant et chaotique, vu que c’est ça le coeur du récit.

Mais j’aimerais aussi que le film soit une expérience sensorielle, que tu puisses avoir du plaisir à le regarder sans vraiment comprendre ce qui s’y passe. Ça m’est arrivé dans certains films, de rien comprendre mais d’adorer ça pareil (Inherent vice, la fin de mindgame – ya fallu que je la regarde au moins 4 fois pour tout saisir). Je vais pas au cinéma pour “comprendre”, je vais au cinéma pour “vivre” quelque chose.

Mais les jury lisent un scénario semblent chercher à “comprendre”, ou en tout cas c’est ce que j’ai compris de mon expérience à court écrire ton court, des cours de l’INIS et avec les notes que j’ai reçu de la sodec. Anyway, comment veux-tu qu’ils vivent quoi que ce soit si la musique et le rythme est absent du screenplay? Le screenplay de FF sera sans aucun doute abominable, parce l’intérêt n’est pas là.

Bref compte tenu de l’expérience que j’ai en ce moment du marché du film, faire un film à partir de FF (donc un film très très ambitieux et très très risqué) me semble un rêve impossible.

N’empêche… Quand j’étais à Slamdance, on parlait de l’adaptation de vil et misérable. Et Henry Bernadet (qui a fait l’excellent film Les rayons Gamma) a sorti un “ah ça me rappelle, sur Letterboxd [encore] ya un gars qui a fait une liste exhaustive de toutes les BD de pow pow en détaillant comment il pourrait y avoir une adaptation en film.” et il me fait lire le post en question (écrit par Saturnome, sans grande surprise).

Pour décrire FF, il écrivait un truc du genre “le cinéma québécois n’est pas prêt pour FF. Ce serait comme de rider le monstre à la ronde sans barrière de sécurité”. Je sais pas si saturnome a écrit ça en sachant qu’un jour je lirais ça, mais quand j’ai lu ça, j’ai comme un senti une espèce de “AAAAAARG IL FAUT ABSOLUMENT QUE JE LE FASSE ET QUE JE FASSE EXPLOSER TOUTES LES BARRIÈRES!!!!!!!”

Mon but ultime serait de faire de FF (et de Pervitine) en longs-métrages qui sont projetés sur un écran à la maison symphonie, pendant que l’OSM joue la trame sonore, avec Dina Gilbert qui dirige. J’ai un plan de match pour FF, je ferais des compo avec un korg mais en prévoyant en amont une éventuelle orchestration de type symphonique. Pour Pervitine, c’est plus simple, les tounes existent déjà. Il va falloir en arranger une couple, mais c’est moins de travail qu’avec FF – où je voudrais composer des tounes originales, inspirés de passages de tounes de Prokofiev (qui est dans le domaine public depuis 2023). J’aimerais composer les tounes et penser au timing de chaque scène en parallèle, la trame sonore orchestrale en version synthé, par mes bons soins. C’est sur ce son que je ferais l’animation. Et après, j’orchestrerais la version synthé, ferait les parties séparées, etc pour être jouée live. La version du film avec des synthétiseurs serait celle qui tourne en festivals et en salles, mais éventuellement un jour, il existerait cette représentation avec un orchestre live. On aurait peut-être du cash pour en faire une captation de l’orchestre et remplacer la trame sonore, mais bon, là c’est du gros rêve sale, parce que payer tout ce monde-là, ça serait une faillite assurée??….

C’est un beau rêve, hein? eh boy, je suis pas prête d’être prête à commencer à peut-être penser à essayer de possiblement financer l’adaptation d’un livre que je suis même pas capable de résumer.

Conclusion

Je me rappelle d’une conversation que j’avais eue avec R, que j’avais rencontré à Court écrire ton court, il était un des 7 finalistes avec moi. Il avait finalement réussi à produire son film, et on a eu cette concersation un peu après.

Il me disait qu’il voulait abandonner, retourner aux études, faire autre chose. Que l’expérience l’avait un peu dégoûté du cinéma, qu’il avait pas aimé le milieu, non plus.

Et j’ai répondu un truc, je sais pas si ça vient de moi, mais je pense que je l’avais moi-même entendu avant et c’est devenu une espèce de mantra depuis ce jour-là:

 

Je pense que c’est pas obligé d’être comme ça.

 

Il m’a répondu: “c’est sûr que c’est pas obligé d’être comme ça. D’ailleurs, je me demande toujours pourquoi ça l’est haha”

C’est très facile de voir les problèmes, c’est très difficile de comprendre la cause. Quand j’avais des noeuds lors de mon périple à bord du petit train-train du monde du film, je me demandais: d’où vient le problème? Est-ce que c’est le milieu du film en général, les manières de financer? Est-ce que c’est la boîte de prod? Est-ce les règles des crédits d’impôts? Est-ce que c’est la personnalité spécifique de la personne avec qui je travaille? Des fois je trouvais un problème, je pensais que la cause c’était X, mais je me rendait compte que mettons X c’était que la conséquence de Y, et il fallait remonter plus haut. Il doit sûrement y avoir une couple d’affaires à éviter tout en haut de la chaîne, qui a un impact en cascade.

C’est pas obligé d’être désagréable, de faire une demande de sub. C’est pas obligé d’être stressant, faire un court-métrage d’animation. Je suis pas obligée d’accepter les règles avec lesquelles je ne suis pas d’accord.

(je repense sans cesse à la jungle. Créer sans aucune contrainte! Voir les fruits et le succès d’une telle démarche! Comment est-ce possible de créer autrement maintenant?? Avoir fait la jungle: une bénédiction ou une malédiction?)

que faire maintenant?

Là en ce moment je flotte, je suis vidée, je sais pas où me tourner. Je flotte dans les limbes, sans espoir d’un revenu annuel décent, mais ça me stresse pas parce que j’ai des économies qui servent à ça (et un chum qui fait plus d’argent que moi qui va jamais me laisser dans la marde).

Il a quelque chose de quand même agréable de retrouver cet état, parce que le tableau redevient blanc. Le prochain projet sur lequel je vais m’embarquer, ça peut être n’importe quoi, je suis dans un magasin de bonbon. Je suis pas spécialement découragée; avoir fait carrière en BD avant m’a enlevé un gros poids, dans le sens où je sais comment ça marche: tu essaies, ça marche pas, tu réessaies, ça marche moyen, tu réessaies, à un moment donné ça finit par marcher. C’est ça, apprendre.

Et même si mon projet de film a chié, j’ai pas l’impression d’avoir perdu du temps ou que j’ai vécu une injustice quelconque. Je suis juste en train de tester les limites du système (peut-être qu’un jour je raconterai ce qui s’est passé, j’ai pas mal tout noté au fur et à mesure que ça se passait). J’ai pas mal plus d’informations maintenant sur ce que je veux et ce que je ne veux pas. J’espère pouvoir au moins passer à l’étape de production d’un film financé. C’est surtout la post-prod qui est un gros point d’interrogtation pour moi. Je sais rien, rien, rien de la post-prod. La post-prod de mes 4 petits dessins animés autoproduits a été fait un peu tout croche à l’aveuglette.

Je suis contente de pas avoir accepté les choses avec lesquelles j’étais pas d’accord. Je suis contente d’être restée intègre. Des fois je me demande si je suis trop diva, si j’ai manqué ma chance d’avoir un film financé à hauteur de 100 000$ à cause de broutilles sans importances. J’aurais pu accepter tout ce qu’on me demandait, j’aurais pu ne passer aller jusqu’à changer de producteur (c’est ça que la sodec a pas accepté). Mais si je dois passer pour une diva, je sais intimement que j’ai écouté mon instinct, et vu que je lui fais pas mal confiance, je suis correct avec tout ça.

En attendant que ça marche (ça marche = je reçois de l’argent pour réaliser un film), il va falloir que je fasse beaucoup de petits projets gratuits. La quantité plutôt que la qualité, pour moi c’est ça qui est important en début de carrière. La qualité, on s’occupera de ça plus tard, quand j’aurai appris les choses comme du monde.

J’ai pas encore tout essayé, il me reste pas mal d’expériences à faire. Quand la sodec a tiré la plogue, ils m’ont dit que je pouvais quand même déposer mon projet dans le programme régulier. Ma première réaction a été un gros “NO FUCKING WAY”, mais maintenant que le temps a passé un petit peu, j’y songe. J’aimerais juste trouver un producteur qui prenne ça un petit peu moins au sérieux et qui soit un peu moins prudent. Et qui cherche pas non plus à avoir le plus d’argent possible. (comment faire en sorte que ça reste fair pour lui?)

Mais parmi tous les projets sur lesquels je peux travailler, est-ce que je veux vraiment choisir de mettre mon temps dans une autre demande de sub??? Et si je développais le long-métrage de Pervitine, plutôt? Ou si je commençais à penser à la musique de FF? Ou si je faisais le petit court-métrage qui n’a pas été retenu à la Hothouse de l’ONF, si je faisais le petit court-métrage dont j’ai eu l’idée quand je suis allée à Slamdance? Si je faisais le petit court-métrage avec des carwashs, auquel je pense depuis à peu près 13 ans? J’ai des projets de Bd aussi! Handicap! Des zines! Mon blog???

Je n’ai pas vraiment non plus à “choisir” la prochaine chose sur quoi je vais travailler. Il faut juste que j’attende que ça vienne tout seul. Ma mère récemment m’envoyait un texto me disant qu’elle savait que je passais un moment difficile, mais qu’il fallait que je continue de croire en ma bonne étoile.

Moi qui crois en la magie, je pense que c’est pas mal la meilleure chose à faire. Je dois juste observer où mes pieds me mènent.