CARNET Je me rappelle d'un truc que Jimmy a dit lors d'une conférence à Métropolis Bleu, en 2011 je crois. Il disait que c'était bon de faire du carnet parce qu'en quelque sorte, ça nous créait un répertoire. Le mot choisi était "répertoire". Un mot que j'ai toujours associé à la musique (plus précisément, à "l'ensemble des tounes que j'ai déjà apprises au piano"). Je le prends aujourd'hui dans un sens plus large; le sens du mot "archive". Le dessin d'observation, je le vois un peu comme les gammes, ou bien les exercices techniques. Ya une extase semblable; tu essaies de te rapprocher le plus d'un canon. Le dessin photographique, ou bien la gamme mathématiquement parfaite (au point de vue du timbre et du rythme). Plus tu en fais, tu te créées un répertoire personnel des difficultés kinétiques, avec une petite solution à côté de chaque numéro. Gravé dans l'inconscient. Après, quand tu dessines ou quand tu travailles une pièce, quand la même difficulté revient, la solution que t'avais jadis trouvée re-poppe de ton inconscient, magiquement. (C'est la même chose, je crois, quand on est compositeur et qu'on repique de la musique. Quand on retranscrit ou analyse une musique déjà existante, on plonge dans l'observation de diverses solutions à des problèmes compositionnels. Après, quand on écrit de la musique, certaines de ces solutions nous apparaissent. Je ne crois pas qu'il faille s'empêcher d'emprunter les solutions des autres compositeurs, pas plus qu'on ne se prive de regarder des photos ou des dessins des autres pour dessiner) Pascal (Girard) un jour disait: "il faudrait passer une semaine à ne dessiner que des arbres. C'est vrai! il y a des tonnes d'arbres différents. Ou bien des autos. Dessiner juste des autos pendant une semaine au complet." L'équivalent d'une gamme en doublés ou d'un gamme en tierces (là où l'on augmente le niveau de difficulté pour faire travailler un geste très précis qui n'est pas au point), ce serait de se donner des défis de dessins d'observation. Je reviens des toilettes, il y avait par terre à côté du chauffe-eau un gros boyau noir en noeud par terre. Je me suis dit: si je veux améliorer ma perception immédiate de la complexité visuelle, il faudrait que je dessine ce boyau, sous plusieurs angles différents. Le carnet, ça pourrait être comme des gammes. Les "profs de carnets" (si ça existaient) n'auraient peut-être pas la pensée aussi pragmatique qu'un pianiste. Un pianiste a une difficulté technique: il s'arrête et l'accentue, fait des exercices qui tournent autour, cerne le bobo, tente de tout raccorder dans le détail. C'est ce que je faisais quand j'étais pianiste, et c'est ce que je dictais à mes élèves avancés. Mais lorsque je dessine, si j'ai une difficulté technique, je tente de la contourner, ou bien de la faire selon quelque modèle quelconque. Je passe à autre chose. Je ne pense pas à cerner le bobo. Enfin... je n'y pensais pas avant. Maintenant j'y pense plus. Je ne veux plus être paresseuse en dessin. Le carnet comme étant des gammes, c'est MA façon de voir le truc. Et c'est probablement la raison pour laquelle je ne fais pas beaucoup de carnet; j'ai peu d'intérêt esthétique dans une gamme ou un exercice technique. Mais je regarde le carnet de certains de mes collègues (notamment les dessins de Pascal!), et j'y vois autre chose qu'une gamme. J'y vois du plaisir. J'y vois une recherche. Quelque chose de plus que simplement "délier les doigts". C'est probablement ce qui me manque. On est généralement doué dans ce dans quoi on a de l'intérêt; mais si on ne l'a pas à la base, peut-on créer un intérêt? Je pense que oui!... ** COMPRENDRE Luce disait dans un cours de mise à niveau de solfège: "Entendre, c'est comprendre!". Évidemment, c'est de Luce alors j'ai bu toutes ses paroles. Je me rends compte aujourd'hui que cette phrase est vraie, mais elle l'est pour moi. Pas pour tout le monde. Mais bon, je vais peut-être encore changer d'idée. Quand une difficulté se présente (dans le cas de Luce, c'était en rapport à une dictée, mais ça peut être dans n'importe quoi), je me rends compte que je réussis à m'en libérer du moment que je commence à comprendre les mécanismes derrière elle. Un exemple simple: le trille. si ya un truc qui rebute bien tous les débutants en piano, c'est probablement le trille. Le trille, c'est un battement très rapide entre deux notes juxtaposées. Par exemple, sur un piano, ce serait de jouer disons un ré et un mi, en alternance, le plus rapidement possible: ré mi ré mi ré mi ré mi ré mi ré mi ré - haaaaaaa c'est duuuuuur!! (débutant) En fait, pour n'importe qui qui commence le piano et qui ne s'est pas vraiment posé la question sur la mécanique du corps adapté à cet instrument, ça paraît impossible. C'est parce que je débutant effectue le raccourcis suivant dans sa tête: "si je veux jouer les deux notes très vite, mes doigts doivent aller très vite!". Et à moins de s'appeler Spiderman, un doigt, ça peut pas être aussi rapide que ce qui est demandé dans un trille. Bouger un doigts, ça veut dit: lever le doigts, le baisser. Pour rejouer, faut relever le doigts, et le rebaisser. Si deux doigts jouent, il faut baisser un doigts, puis le relever pendant que l'autre baisse, puis le rebaisser pendant que l'autre remonte. Ça, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup d'énergie gaspillée. En fait, si on veut aller le plus vite possible, les doigts doivent bouger le moins possible, et s'ils peuvent demeurer immobiles, c'est encore mieux! Mais comment jouer rapidement sans bouger les doigts?? - Il y a beaucoup de méthodes, ou de philosophies du piano, mais en tout cas, de mon côté ce que j'en conclus avec ma pratique, c'est que jouer du piano, ça n'a pas grand rapport avec les doigts. Mes doigts ne bougent que pour atteindre les bonnes notes; ils effectuent des mouvements latéraux, ils s'espacent les uns les autres pour avoir le bon "moule" et atterrir sur les bonnes notes. tout le reste, ça vient du poignet, du bras, du dos. Pour en revenir au trille, une bonne façon de comprendre le geste, c'est de penser sa main comme un slingshot. Si j'avais un slignshot articulé devant un clavier de piano, il me faudrait tout un système de cordage et de poulies pour sur l'action des deux branches puissent réagir assez vite pour faire un trille. Alors que j'ai juste à shaker légèrement mon shlingshot pour le faire jouer. Je lui fais faire une petite rotation. Pour que ce soit encore plus efficace, je prends un slingshot avec les branches légèrement incurvées vers le clavier. J'ai à peine besoin de bouger. Avec une main, c'est encore plus facile qu'avec un slignshot. Je me place très près du clavier, j'utilise deux doigts qui ne sont pas juxtaposés (c'est plus facile avec un grand angle; c'est plus facile de contrôler une rotation avec ce slignshot qu'avec celui-ci), et je rotationne mon poignet très rapidement, sans bouger les doigts (c'est le même mouvement que si je tournais une poignée de porte). Évidemment, pour que ça marche, mes doigts doivent être solides comme des bâtons de bois. C'est un principe physique très simple: t'as une économie d'énergie si ton moteur vient de plus loin. Juste le fait de COMPRENDRE ça, ça t'ouvre tout d'un coup à une nouvelle façon de voir le piano. À oublier que le piano, c'est une affaire de doigts. Ça peut l'être dans certains cas, mais c'est beaucoup plus complexe et plus varié, et c'est franchement fascinant. T'en viens à te poser des questions sur la gravité, sur la manière avec laquelle fonctionne les muscles, la respiration, l'esprit, etc. Même chose avec le dessin. Je me suis longtemps imaginé le dessin comme un truc "qui vient tout seul", ou bien que "plus tu pratiques, plus t'es bon". Tu peux pratiquer des heures, des jours, des mois un passage difficile au piano et n'en jamais venir à bout parce que t'as pas COMPRIS d'où venait la difficulté. Sans relâche, faut que tu te poses des questions, que tu remettes en question ce que tu penses savoir, que tu cherches encore plus loin le pourquoi du pourquoi. *** L'INSTINCT J'ai probablement mieux appris le piano en l'enseignant qu'en l'étudiant. J'ai peut-être appris moins de trucs, mais je les ai forcément "mieux" appris. quand t'enseignes, t'es confronté avec ta propre technique. Si jamais l'élève a une difficulté technique, tu dois pouvoir être en mesure de lui expliquer comment faire pour la surmonter (et si possible, lui faire comprendre le mécanisme sous-jacent). Ça m'est arrivé très très très souvent de me retrouver devant la difficulté de mon élève, et de trouver ça facile. J'ai surmonté cette difficulté-là depuis un bout de temps, mais maintenant je dois analyser mon geste pour pouvoir le transmettre à mon élève. Ce que je faisais "d'instinct", je me rends compte que je ne le comprends pas du tout. Le fait de ne pas y avoir réfléchi avant ne m'a pas empêché de surmonter cette difficulté - c'est l'instinct qui a pris le dessus. Mais vu que je suis aujourd'hui obligée d'y réfléchir et de passer outre mon instinct, me voilà en train d'essayer de comprendre quelque chose que je n'ai jamais vraiment essayé de comprendre. Si le but immédiat, c'est simplement d'aider mon élève, le résultat est bien plus large: cette compréhension a souvent des répercussions sur les autres difficultés techniques. J'imagine que les principes physiques qui entrent en jeu dans le piano doivent pas être très nombreux, et que d'une manière ou d'une autre, à un moment donné, tout est plus ou moins relié. Je n'ai pas étudié assez longtemps le piano pour me plonger dans ces réflexions physiques, mais si je n'avais pas enseigné le piano, je ne m'y serais probablement jamais attardé. Enseigner le piano, ça m'a probablement appris à me méfier de l'instinct; l'instinct c'est un paravent, et derrière, il a toujours quelque chose d'intéressant. ** LA TECHNIQUE J'ai l'air obsédée par la technique. Mais c'est parce que je suis jeune. Et c'est aussi pour le moment ce qui me fascine: l’artisan derrière l'artiste. *** DÉSAPPRENDRE Apprendre quelque chose, c'est souvent déconstruire quelque chose de connu, 'désapprendre' en quelque sorte. - Les quintes parrallèles, c'est pas nécessairement mal - Les feuilles des arbres sont pas nécessairement vertes « Découvrir c'est bien souvent dévoiler quelque chose qui a toujours été là, mais que l'habitude cachait à nos regards.  » (la révolution se fait de manière sournoise) " Penser, ce n'est pas unifier, rendre familière l'apparence sous le visage d'un grand principe. Penser, c'est réapprendre à voir, diriger sa conscience, faire de chaque image un lien privilégié. Autrement dit, la phénoménologie se refuse à expliquer le monde, elle veut être seulement une description du vécu" - Husserl *** Jouer une étude de Liszt, c'est comme dessiner un cheval: beaucoup prétendent être capable. *** LITTÉRATURE La littérature, c'est probablement l'art le moins musical. Je suis en train d'écrire le synopsis d'une B.D., mais le texte ne rend pas ce que j'ai en tête, puisque ce que j'ai en tête est composé d'images, mais surtout de rythme. Une pièce de théâtre vivra dans le temps du rythme où l'histoire se déroule. Même chose pour une B.D. Mais un roman? Le rythme des mots écrits évolue selon une narration qui n'a rien à voir avec l'action qui se déroule; le rythme qui nous parvient est décalé par rapport à ce qui s'y passe. Mais encore, c'est peut-être juste que j'attribue trop d'importance au paramètre du rythme en musique. Donc, la littérature ne serait pas l'art le moins musical mais assurément le moins rythmé. Mais au fond, qu'est-ce que j'en sais? J'ai jamais écrit de roman! (je prend un chapeau et je parle à travers "bla bla bla bla") *** PONCTUATION Avant qu'une de mes BD soit imprimée en livre, on l'envoie à un correcteur qui révise les fautes d'orthographe, de syntaxe, les redites.... et la ponctuation. Je déteste quand un correcteur me corrige mes ponctuations. Les littéraires ne peuvent pas comprendre l'emploi d'une ponctuation dans une BD, l'emploi et le sens est absolument différent. Ils suivent des règles grammaticales alors qu'elle sont là pour ponctuer le temps dans une phrase. Une virgule c'est un arrêt, un point d'interrogation, c'est un plus grand arrêt avec même une intonation vers le haut. La ponctuation, c'est la marque dans la phrase d'un certain rythme et d'une certaine musique dans l'intonation. Les littéraires n'étant pas habitués de jouer avec les mots dans le temps, quand ils osent m'indiquer que ma ponctuation est incorrecte, comment peuvent-ils avoir la moindre idée de comment corriger un texte de bande dessinée? (ouais en même temps ils font leur boulot. Suite à leur correction, je suis libre de l'accepter ou pas, c'est mon boulot d'auteur. J'aime mieux qu'ils corrigent trop que pas assez) *** MÉMOIRE Je n'ai pas un style de dessin "stable". J'essaie souvent de changer de projet en projet. J'essaie? Est-ce que c'est vraiment voulu? Ou c'est simplement parce que j'ai une très mauvaise mémoire? (et que d,une fois à l'autre, je ne me souviens plus de comment je dessine les choses, alors tout est à recommencer) Est-ce que les gens qui ont une bonne mémoire sont plus susceptibles d'avoir un style de dessin qui ne change pas? *** CRÉDULITÉ Luce raconte son histoire à propos du prélude de Tristan. "N,importe qui peut vous dire n'importe quoi. Et comme je suis n'importe qui, je pourrais bien évidemment vous dire n'importe quoi!" *** NOMMER texte que j'avais écrit à propos du fait de savoir nommer les choses, après le cours d'électroacoustique de Georges *** PENSER AUTREMENT Anecdote d'Archimède qui se fait demander le volume d'une couronne, et qui trouve en allant dans son bain. Pour nous, aujourd'hui, c'est super évident. Mais ce l'était pas à l'époque. Ce qui est vraiment fascinant, c'est pas tant la découverte scientifique en soi ou comment elle a été faite; c'est plutôt: comment on pensait le monde, avant? C'étaient quoi, les évidences? Ça nous paraît naïf, voire poétique. comprendre le geste de la trille