Le moment le plus pénible, c'est d'attendre qu'ils arrivent. Nous avons une image d'eux assez stigmatisée: des gens dans leur bulle, qui parlent peu ou pas. Des gens qui ont de la difficulté avec les relations sociales. Parfois des gens qui sont carrément non-autonome; on doit les aider à marcher, à manger, on doit parfois les torcher. On angoisse par rapport à leurs éventuelles crises; on a peur de leur agressivité, de leur auto-mutilation. On sait qu'ils ont besoin d'une routine fixe, d'un horaire stable, et qu'un simple imprévu peut les faire basculer. En fait, on a peur d'eux. Mais c'est parce qu'on se les imagine plutôt que de les confronter. Si dans les premiers temps, on s'aperçoit qu'ils sont si différents de nous, à force de les côtoyer, on est forcés à admettre que finalement, nous sommes comme eux. L'été 2004 fut très important: j'y ai travailléen tant qu'accompagnatrice pour personnes atteintes de troubles envahissants dudéveloppement, en particulier de troubles autistiques. Depuis ce temps-là, jene pense plus de la même façon, je ne conçois plus les relationsinterpersonnelles de la même façon, et surtout, je suis beaucoup plus sensibleà toutes les absurdités quotidiennes qui gravitent autour de nous sans qu'ons'en rende compte. Côtoyer des personnes atteintes d'autisme a aussi beaucoupinfluencé ma démarche artistique; j'ai eu la piqure et j'ai fait ce boulotpendant 3 ans.             L'autismen'est pas une maladie; c'est un handicap. Quand on vit 24h sur 24 avec despersonnes handicapées (et surtout avec un handicap qui concerne lacommunication et la perception de l'autre), on se rend compte de tous lesautomatismes que l'ont possède et qui ne vont pas nécessairement de soi. On sequestionne aussi beaucoup sur l'éthique des handicaps, sur la meilleure façond'appréhender la personnalité des personnes atteintes, sur les limites àimposer quant à leur adaptation à une vie en société (et bien souvent, enallant en sens contraire de leur nature), sur la vie quotidienne de ces personneset de leur entourage... Un sujet très riche, que j'ai envie de partager sous laforme d'une bande dessinée.             Ily a plusieurs dangers avec une œuvre artistique qui traite d'un handicap.D'abord, on peut facilement tomber dans le pathétique; vouloir émouvoir à toutprix, axer son discours sur le côté difficile et tragique de certains cas (il yen a). Sinon, on peut tomber dans le récit à l'eau de rose: traiter d'un cas enparticulier, qui n'a rien de vraisemblable, qui est très beau et qui finit bien,qui sensibilise certes à la cause, mais qui est à des lieues de la réalité unpeu plus crue. Dans un cas comme dans l'autre, les personnes handicapées sonttraitées comme des objets qui servent la cause, et c'est exactement ce que jeveux éviter. Je veux dresser un portrait réaliste: avec ses moments forts, sesmoments drôles, ses moments absurdes, ses moments honteux et ses momentsdifficiles. Je veux soulever toutes les questions qui nous passent par la têtequand on fait ce métier, mais surtout, je m'intéresse aux gens: je ne veux pasparler de l'autisme; je veux parler de quatre personnes atteintesd'autisme et les rendre aussi attachantes (avec leurs qualités et leursdéfauts) que l'ont été les personnes que j'ai moi-même côtoyées. J'aimerais quele lecteur les aime, d'abord pour leur personnalité individuelle, et ensuitepour leur handicap (pour leur handicap et non malgré leurhandicap!).             Jepropose donc ce projet de longue haleine: une série de bandes dessinées enquatre tomes (d'environ 200 pages chacun), qui chacun traite de quatrepersonnes différentes (donc 16 en tout), dans un camp d'été pour personnesatteintes d'autisme - plus précisément, un service de répit pour les parents depersonnes atteintes de troubles envahissants du développement (T.E.D.). Lepersonnage principal sera une espèce d'alter-égo qui découvre dans un camp d'étéses quatre campeurs. Chaque tome aura un thème bien à lui (quatre aspectsdifférents du métier, soit: 1. l'handicap, 2. le travail en communauté, 3. l'éthique et 4. lesenfants). Je me base sur mes expériences personnelles, mais il s'agit vraimentd'une œuvre de fiction, avec un récit qui a début, milieu et fin. Je ne parspas de zéro; j'ai déjà commencé un bon travail de scénarisation lorsque j'étaisen résidence en France, à Angoulême, en 2009. J'ai aussi effectué un importanterecherche en lisant des livres sur le sujet et en contactant des spécialistesau Québec et en Hollande. Le travail est loin d'être terminé, mais j'aimaintenant assez de matériel pour me plonger dans le casse-tête de lascénarisation de manière plus linéaire, soit rattacher ensemble toutes lespièces détachées. Cette demande de bourse concerne le tome 1 uniquement. La forme             L'histoiresera divisée en courtes scènes qui se suivront de manière linéaire. Celles-ciauront toutes un titre (un peu à la manière de Persepolis, de Marjane Satrapi,le titre est en bandeau au haut de chaque scène). On y suivra le personnageprincipal, Marie-Christine, une jeune adulte un peu antisociale entre le cégepet l'université (un peu entre l'adolescence et l'âge adulte), qui traîne dansson boulot d'accompagnatrice de personnes atteintes de T.E.D. un peu de sesdémons et de ses travers, amplifiés par le contexte particulier du camp. Lemétier d'accompagnateur, c'est : oui, animer, amuser, soigner une personne, sebaigner dans la piscine, faire du bricolage, faire de la trampoline, mais c'estaussi: la laver, changer des couches, gérer des crises (on parle ici plutôt dedésorganisations), bref, tous les aspects du métier, drôles et moins drôles,seront traités. Entre les scènes seront greffées quelques"chroniques" de deux genres. Ces chroniques traiteront d'une partd'aspects plus spécifiques du handicap, afin que le lecteur comprenne mieux dequoi il s'agit (voir pages annexées à la demande), et d'autre part, détailleraune petite biographie de personnages autistes figurants, avec leurscaractéristiques, des informations comiques sur eux... Au final, j'aimerais que,parsemé entre les scènes du récit, l'on apprend à connaître, l'instant d'unepage, au moins une vingtaine de personnalités différentes. Si j'ai apprisquelque chose avec les troubles envahissants du développement, c'est ladifficulté à les définir; il y a autant de cas que de personnes. Chaque individua sa façon de les vivre et aucun cas ne se ressemble - de la même façon que pasdeux personnes neurotypiques ne se ressemblent non plus (neurotypique =personne "normale"). Les petites bios entremêlées au récit formerontdonc une belle palette de personnages attachants: des gens et non pasdes handicapés. Technique             Latechnique utilisée pour réaliser ce livre sera semblable à celle que j'aiutilisée pour le projet "L'ostie d'chat" (qui paraîtra en novembre2012 aux éditions Delcourt, collection Shampooing). Sur du bristol de format 9x 12, au rapidograph Rotring avec masses de noires colorées à la pointe fine. Àça s'ajouteront des aplats de gris (ou d'une autre couleur, si j'arrive à mefaire éditer avec de la bichromie), réalisés à l'ordinateur.  Un travail de longue haleine             Lesderniers livres que j'ai publiés étaient généralement faits d'histoires courtes,et ne m'ont pas pris beaucoup de temps à faire; Apnée a été fait en unmois, mes contributions à Partie de pêche, Zik & BD et Histoiresd'hiver n'ont que 6 pages, Le quart de millimètre est un recueild'histoires de 4 à 10 pages... j'en suis rendue à un point dans ma carrière oùil est déterminant de me consacrer à un projet qui demande un investissement detemps plus grand. Dans le contexte de création au Québec, il est très difficilepour un auteur de se livrer à la création d'un récit de plus longue haleine;les avances sur droits d'auteurs me permettant à peine de payer plus d'un oudeux loyers, j'ai toujours eu à balancer entre mes courts récits et des boulotsalimentaires. J'ai tenté à plusieurs reprises de me remettre sur ce projet sansl'aide d'une subvention, mais je me suis toujours retrouvée à le laisser decôté pour prioriser les projets qui me permettaient d'avoir un revenu. Étantdonné qu'il est échelonné sur une longue période de temps, ce projet estimpossible à réaliser sans une bourse.