Ces temps-ci, je me questionne sur la diffusion de mon activité artistique; puisque je la diffuse à la fois sur Internet, et à la fois sous forme de livres imprimés. en 2006, lorsque j'essayais de convaincre Luce de faire un site Internet (elle qui pestait solide contre les ordinateurs), mes arguments furent: - c'est mieux qu'un livre: sur Internet, on peut faire jouer des extraits sonores! - c'est mieux qu'un livre: une fois en ligne, on peut toujours rééditer, rajouter ou enlever du contenu, corriger les coquilles éternellement. - c'est mieux qu'un livre: le contenu sera diffusé GRATUITEMENT sera ACCESSIBLE à n'importe qui sur la planète. De plus en plus on entend des gens s'affoler de l'éventuelle "mort du livre", en opposition aux nouvelles interfaces que nous offre Internet. Le livre, c'est tellement mieux!... Le livre, ça sent bon!... Le livre, c'est notre patrimoine!... Pour le moment, je ne crois pas qu'Internet amènera la mort du livre papier. Il y aura toujours des gens pour s'en munir dans leur bibliothèque, il y aura toujours des gens qui seront sensible à l'aspect esthétique d'un livre, à son poids, son odeur, son ergonomie, sa facture, etc. J'admets donc que l'on puisse avoir un intérêt esthétique pour un livre (le soin au choix de papier, à la mise en page, les reliures toilées, etc), mais autrement, le livre comme tel m'apparaît d'abord comme un objet de consommation comme un autre. "J'aime bien posséder des livres. C'est beau dans mon salon". "J'aime bien quand les gens viennent chez moi et glissent leurs yeux sur les titres qui se trouvent dans ma bibliothèque." "Quand je suis déprimée, je m'achète un livre. Ou une paire de souliers." Pour ma part, si je veux lire du Camus en folio, que ce soit sous la forme d'un petit livre poche cheap ou bien sur un kindle, j'y vois pas vraiment de différence. Pour le moment, je préfère encore le livre, vu que je peux le lire dans mon bain, que je peux écrire des trucs sur les marges ou que l'ergonomie des tablettes n'est pas encore 100% au point (lire sur des écrans ça m'emmerde), mais tout cela n'est qu'une question de temps avant que les outils pour se taper des ouvrages numériques soient agréable à utiliser. "Moi je préfère le livre parce que quand je suis dans le métro, les gens voient que je lis un livre, ça me donne un air intello" Je vais pas me trimballer un livre juste pour la apparences, comme quand j'étais ado. Quand je lis un livre, j'ai envie d'être confrontée aux idées de l'auteur, et ces idées passent au-delà de l'interface. Pour la bande dessinée, c'est un peu différent, mais à peine. Vu que le medium repose beaucoup sur l'impact visuel, avoir une double page change beaucoup de choses. Mais encore... si l'oeuvre de bande dessinée est adaptée au support numérique, ou mieux: faite en fonction d'elle, pour moi elle aura égale valeur qu'une oeuvre faite pour le papier. Égale valeur?... Peut-être pas. La grande tendance en ce moment, c'est de penser que le livre, c'est l'aboutissement ultime (je parle en particulier pour les auteurs de BD). En gros, on fait ses dents sur Internet, on rigole, on fait des conneries, on expérimente, on se perd dans l'énorme flot du contenu cybernétique, et quand on devient assez bon, c'est la consécration: PAF! On fait un livre. Et là, on est rendu hot. C'est sûr qu'en étant choisi par un éditeur, on passe par une structure éditoriale qui pose un filtre sur le contenu. Sur Internet, on trouve de tout et n'importe quoi, et beaucoup de merde. Quand j'achète un livre chez le libraire, je m'attends à ce qu'une sélection ait été faite, donc que le contenu soit de meilleure qualité. Ben ça se passe pas nécessairement comme ça. J'ai pas vraiment besoin de l'expliquer; offre, demande, lois du marché, on édite des daubes, trucs trop expérimentaux qui vendraient à perte. D'autant plus qu'aujourd'hui, n'importe qui peut imprimer un livre! Avec l'arrivée des imprimeurs numériques qui font du petit tirage, et la qualité de l'impression qui s'améliore toujours, faire un livre est à la portée de n'importe qui. Ce n'est plus un gage de qualité. J'ai dessiné, corrigé et monté le bestiaire des fruits moi-même; ensuite je suis allée le porter chez un imprimeur, et je l'ai distribué dans quelques librairies qui prenaient des consignations. Certaines librairies en dehors de Montréal m'en ont commandé aussi, et le livre s'est ramassé en bibliothèque. Je n'ai pas eu besoin d'une structure d'édition! Et je n'ai pas non plus fait de communiqué de presse, donc son succès ne repose pas sur les médias. En gros, le succès du Bestiaire des fruits ne repose que sur ma réputation d'auteure, sur les autres ouvrages que j'ai faits avant et sur mon nom qui circule. Et je dois ça à quoi? Aux 5-6 bouquins que j'ai faits avant, qui ont été tirés à quelques 1000 exemplaires, et distribués au Québec seulement? Impossible... Je le dois à Internet, et à l'énorme diffusion GRATUITE qu'ont bénéficié mes bandes dessinées (et autres conneries). Pendant ses grandes années d'activité, de 2006 à 2009, je reste persuadée que beaucoup plus de gens lisaient mon blogue que mes livres. J'ai longtemps cru que le blogue était en marge de ma vraie activité, un petit hobby à qui le sacro-saint LIVRE faisait de l'ombre. Mais en fait, non. Internet, c'est là mon principal lieu de diffusion. Avant le livre. J'irais même plus loin: lorsque j'ai publié en livre des BD qui se sont ramassées sur Internet avant, je ne considère plus Internet comme étant une pré-publication; je considère plutôt le livre comme étant un produit dérivé, pour les amateurs. (C'est probablement la raison pour laquelle ça marche moins.) Cette année, je me lance dans des projets de livres. Des trucs qui ne verront pas le jours sur Internet avant. C'est pas moins bien, c'est pas mieux, c'est juste différent. Mais je reviendrai toujours à Internet, parce que sa diffusion correspond mieux à mon idéal: l'art devrait être gratuit. Je sais pas si yen a d'entre vous qui sont familiers avec les termes "économie de rareté" et "économie d'abondance" (voir plus bas où j'ai piqué ça). En gros, le livre que j'édite, je dois payer le papier, je dois payer l'imprimeur, je dois payer le diffuseur (si je le fais distribuer) et je dois payer le libraire. De plus, si je vends un livre, ensuite je ne le possède plus. Je suis limitée dans l'offre. Si la même B.D., je la mets sur Internet, ça coûte rien. (Bien sûr, vous pourrez me dire qu'il y a le coût de ma connexion Internet, mais elle est facultative, vu que je pourrais tout aussi bien diffuser le contenu à partir d'une bibliothèque). Je n'ai pas à payer le papier, l'imprimeur, le diffuseur, le libraire. Et si la B.D. est lue, une fois le lecteur passé, je la possède encore! Mon offre est illimitée! mais euh mon loyer?... Faire des bandes dessinées, ça prend du temps, et de l'investissement personnel. Et pour vivre, je dois manger 6 à 8 portions de légumes par jour. Si seulement il existait une structure qui pourrait me financer pour que je puisse créer sans me soucier de mes factures... CAC et CALQ Mais oui, c'est clair!... Le mandat des conseils des arts, c'est pas d'aider les artistes à la création de leur art? CAC: "Il a été créé en 1957 afin de favoriser et de promouvoir l'étude et la diffusion des arts, ainsi que la production d'oeuvres d'art." CALQ: "Le Conseil des arts et des lettres du Québec a pour mission de soutenir, sur l’ensemble du territoire québécois, la recherche et la création artistique et littéraire, l’expérimentation, la production et la diffusion dans les domaines des arts visuels, des métiers d’art, de la littérature, des arts de la scène, des arts multidisciplinaires, des arts médiatiques et de la recherche architecturale." ouais mais quand je regarde leurs critères, faut que mon projet de création amène la création d'une livre papier. - t'es sûre? ... dans le doute, on s'informe! Je les ai appelés pour leur demander.