Avant-propos Dans la vie, t'as pas des affinités avec tout le monde. Des fois ça clique plus avec certains personnes, des fois ça clique moins. C'est la même chose avec les autistes; ce n'est pas parce qu'ils ont un handicap que tout d'un coup ils ont une personnalité générique qui colle à n'importe quel animateur. C'est avant tout une personne humaine avec ses caractéristiques qui lui sont propres; des fois ça colle, des fois ça colle pas. C'est normal. De 2004 à 2008, j'ai travaillé dans un camp d'été pour les personnes atteintes d'un trouble envahissant du développement (dont l'autisme) et j'ai toujours eu envie d'en parler. Y avait un campeur avec qui ça collait vraiment pas. Je ne rentrerai pas dans les détails pourquoi, mais disons que je le trouvais grotesque, qu'il voulait jamais faire les activités, et qu'en plus, il était difficile à torcher. 6 ans plus tard, j'ai appris qu'il était mort. Tout d'un coup, je me suis mise à me sentir mal. Parce que je savais que dans cette BD j'allais illustrer mon point avec cet exemple précis; j'allais créer un personnage un peu semblable à ce campeur qui me dégoûtait... un personnage fictif dans une fiction, certes, mais fortement inspiré de cet individu que j'ai côtoyé au camp. J'allais pouvoir montrer un possible manque d'affinités avec un campeur, comme ça arrive souvent. Il se trouve que ce campeur-là, il est mort, les gens ont été attristés par son décès, on m'a raconté comment étaient ses funérailles, comment sa mère était dévastée, tout ça. Comme si ça avait été n'importe qui d'autre que tu connais un peu de loin et avec qui t'avais peu d'affinités, tu te mets à repenser à lui avec plus de distance, à te dire que c'était une bonne personne, que tu l'as probablement mal jugée ou mal comprise... Je me suis mise aussi à penser à la mère du campeur, si elle en venait à lire la BD, ce qu'elle en penserait.. je me suis mise à penser à mes amis qui travaillent encore au camp, pour qui la principale priorité c'est le bien-être des campeurs, sans jugement et sans retenue, qui liraient ces pages de jugement sur un campeur aujourd'hui décédé... C'est horrible. Là je me dis: "peut-être qu'il vaudrait mieux que je ne raconte pas ça, par respect pour le campeur décédé, et par respect aussi pour sa famille, et pour les gens qui ont été autour de lui pour s'assurer son bien-être?" "Mais mon manque d'affinités avec ce campeur, le premier sentiment que j'ai eu à son égard, ce qu'il représente en mon esprit, pourquoi toutes ces choses seraient-elles tout à coup différentes, suite à son décès? Pourquoi tout d'un coup, ce serait moins racontable?" Je me suis donc posée la question à savoir si ce que je trouve tout d'un coup moins racontable n'a pas toujours été ainsi: pas racontables. Tout ce que j'avais envie de dire sur mon expérience là-bas, vaudrait-il mieux que je le garde pour moi? J'ai fait un choix 100% arbitraire: celui de raconter. Entre en parler et ne pas en parler, traiter du sujet et se poser des questions ou rester dans l'ignorance, j'ai choisi ma réponse. Raymond Maurice le disait dans nos cours d'histoires de secondaire V: "Plus tu connais, moins t'es épais*." D'ordinaire, les handicapés sont souvent considérés dans les médias, tout comme les enfants ou les gens qui crèvent de faim, comme des sujets qu'il vaut mieux angéliser. Ils sont des "trésor", des "anges", ils ont quelque chose de spécial en eux, et tout ce barratin - il est extrêmement mal vu de parler de leurs défauts. Je trouve cette approche déshumanisante. Quand tu présentes quelqu'un sans ses imperfections, tu le rends générique, tu lui enlèves son relief et sa complexité pour le rendre lisse; tu le déshumanises. Ce campeur qui est décédé, il avait des défauts. C'est parce qu'il était humain, c'est tout. Et c'est de ça que je veux vous parler. * "épais", ça veut dire idiot