Mais oui, je fus le meilleur, mais oui, ne m'obstinez pas là-dessus. Je fus le meilleur pendant pas moins de 4 mois, avant que ce bonhomme flétri et débile arrive. J'avais eu une passion pour ce jeu dès ma tendre enfance. C'est mon grand frère qui m'avait enseigner tous les principes de base, et je dois avouer que j'en fus vite bien épris. Je trouvais fascinant qu'un jeu à l'apparence aussi bénigne puisse être le plus complexe des exercices mentaux de dédale et stratégie. Ça m'a pris pas plus que deux semaines de pratique pour éliminer mon frère. Peut-être était-il mauvais. Je ne sais pas, puisqu'à partir de cette défaite, il a cessé de jouer. Ce qui était pour lui passe-temps devint pour moi une passion.j'ai des livres sur le sujet, des méthodes de pensée, je me mesurais à tous mes copains et à chaque fois que je gagnait - événement qui devenait de plus en plus régulier - je ressentais une rage victorieuse dans tous mes viasseaux sangins. C'est après plusieurs tournois que je fis enfin ma marque localement, puis régionalement, et je m'étais inscrit au tournois provincial lorsqu'il entra dans ma vie par la porte d'en arrière. Il avait probablement le triple de mon âge (peut-être le quadruple, qui sait), ses blancs cheveux pleuvaient autours de lui et il portait une lèvre inférieure tellement énorme que son poids arquait son dos par en avant. Le personnage semblait quand même sympathique, quoique d'apparence sénile et plié par le milieu. Je l'aurait comparé à la tour de pise; son centre de gravité semblait être corrompu. Par un hasard extrêmement douteux, il venait d'aménager juste à côté de chez moi. Ce n'est pas par hospitalité mais surtout par orgeuil que j'allai sonner chez lui. J'avais battu tous les gens qui s'étaient mesurés à moi; il devait faire partie de la masse lui aussi. Quelle ne fut pas ma colère quand j'apperçus dans sa bibliothèque, derrière l'homme penché, une trentaine de bouquins traitant du jeu en question... Certes, je senti le remoud dans mes pensées, mais je me dis qu'il était trop probablement trop vieux pour avoir tous ses esprits. Il avait amenagé il y a quelques jours, il faisait encore un peu de ménage dans ses boîtes (à la vitesse d'une personne très âgée, évidemment), lorsqu'il me fit rentrer. J'arpentai les environs pour voir s'il en possédait un. Il en avait trois. Celui du salon était tout en marbre, sculpté avec une finesse incroyable, et les rayosn de la lumière matinale se faufilait entre les rideau pour lui donner un air presque divin. "Quel objet remarquable, dis-je avec quelque chose derrière la tête. -C'est ce que je possède qui vaut le plus cher, répliqua-t-il, non sans fierté. Vous jouez? -Oh, vous savez, c'est un de mes passe-temps favoris, lui avouai-je avec tout mon lot de fausse modestie, car ce n'était pas un passe-temps, mais bien une obsession maladive... -Que diriez-vous d'une petite partie?" Je pouvais lire un sourire surnois au dessus de son ballon de plage qui lui servait de lèvre inférieure. Je m'imaginais bien sa surprise après la partie, quand j'aurais gagné, lui qui semblait sûr de ma défaite. Nous nous sommes installés. Il me laissa choisir mon côté de la table. J'ai pris les noirs. La partie dura extrêmement longtemps. J'ai pu boire 4 cafés avant qu'elle ne se termine. Mais oui, vous le saviez, vous, qui allait gagner, j'étais trop naïf pour craindre mon adversaire. Cependant, il jouait d'un façon que n'avais jusqu'alors jamais vue; on aurait dit des imprudences de débutant, mais au fur et à mesure que le temps battait le rythme de la vieille horloge du salon, je m'appercevais, à mon grand débit, que ce vieillard cachait des éclats de génies. J'ai ravalé ma rage en sortant, car même étant maintenant mon ennemi, il fallait absolument que je le revois - pour avoir ma vengeance. Je retournai le jour suivant. Nous jouâmes de nouveau. La partie fut plus courte. Il gagnait toujours. Ainsi, presqu'à chaque jours pendant quelque mois, j'allais me mesurer au grand maître à la posture angulaire mais j'étais incapable de le battre. Je ne ressortais plus de sa demeure aussi enragé qu'après ma première défaite. Plutôt que de vouloir gagner à tout prix, j'étudiais la façon qu'il arrivait à me battre, sa façon de penser en jouant, ses stratégies préférées. Je me rendis compte bien vite qu'effectivement, ses stratégies pouvaient être prévisibles. Quand j'arrivais chez moi, je couchais sur papier mes observations quant à sa façon de jouer. Le cahier devenait de plus en plus épais de jour en jour, et relisant encore et encore ce petit cahier, je voulais pouvoir penser comme lui, agir comme lui, ÊTRE lui. Je tentais des expériences sur le jeu pour analyser ses réactions. J'ai essayer maintes combinaisons et je notais toutes ses répliques dans le cahier, le soir, et puis je l'étudiait comme un forcené. J'avais fixé la date de mon triomphe, la date où j'allais pouvoir le battre enfin, après plusieurs efforts désespérés de ma part. À chaque soir donc, je m'efforçait de ne rien respirer d'autre que l'odeur du fameux cahier qui se tenait à quelques centimètres de mon visage. Le jour J est arrivé enfin, la date où j'étais sûr de mon coup. Il me fit remarqué quand il m'a vu que je j'avais une apparence fort soignée pour une journée de semaine. C'est en habit du dimanche que j'allais le battre. Je savais comment il allait réagir à mes coups, mon plan était tout construit dans ma tête, parce que j'en était venu à penser comme lui. Nous nous installâmes devant le jeu de marbre, qui avait étrangement perdu un peu de son éclat cette journée-là. Ses premiers coups furent déroutants, mais je me suis vite repris. La justesse de mes attentes me rendait complètement ivre. Je le voyait qui se débattait avec son esprit, qui cherchait un moyen de sortir de l'impasse que je lui imposais. Son nez, peu à peu, s'éloignait du jeu, comme si son dos cherchait à retrouver sa position d'antan. Il perdait confiance, et je le voyait bien puisque j'en gagnait de lui. La fin était proche et tout se passait comme prévu, je ressentait le sang chaud qui me noyait le visage. Voilà qu'il ne restait qu'un seul coup de sa part pour que je gagne. Sa ain tremblait comme sa pupille, et moi je regardait son index et son pouce avec insistence, et de tout mon saoul j'exécutais un effort de télékinésie envers sa main moite et ridée. Lentement, très lentement, sa main survola le jeu, puis il toussa. Il frotta sa tempe droite de sa paume de main avant de la remettre au-dessus du jeu, comme un gros nuage au-dessus d'un village de petites pièces. Sa main se posait tranquillement à l'endroit convoité. Son index toucha d'abord le bout de la pièce avec un petit tremblement. Il était penché, mais son dos était droit comme un piquet. Je m'apperçus que c'était le mien qui était à présent courbé comme un lampadaire. Mais peu importait, tout ce que je voulait, c'est qu'il joue enfin pour qu'enfin je gagne, pour qu'enfin je rencontre l'orgasme d'avoir vaincu Goliath. Et tandis que je me harponnais à la table tout crispé par l'attente, le voilà qui tombe par terre. Raide mort. Je me lève. Je tâte son poul. Il est mort. Je regarde son visage. Il est mort. Le bigre. Il était encore plus orgeuilleux que moi. ...ou peut-être avait-il trop peur de l'échec.