Mes cours de créations littéraires
ne furent pas si désuet que ça. Je me suis découvert
un certain plaisir à écrire des contes. En fait,
j'ai toujours eu cet intérêt à écrire
des contes mais je ne m'en était jamais rendu compte. Il
fallait pervertir un conte. J'ai décidé de choisir
La princesse au petit pois. Je vais d'ailleurs le réciter
habillée en poupée devant le monde d'arts et lettres
en décembre prochain, et ce sera lui qui sera publié
dans le receuil (il fallait choisir un texte à publier...).
____Il
était une fois, dans un luxueux condo d'Outremont, une très jolie
jeune fille qui vivait seule. On l'appelait Maria. Ses vingt-cinq
ans approchaient plutôt dangereusement et elle se voyait fort
importunée de les voir vides d'un ami de coeur. En effet, elle
avait la frousse. La frousse de devenir une vieille fille. Voilà
depuis quelques années qu'elle dépoussiérait les quartiers en
quête d'un mariage heureux. Rien à faire. Les hommes étaient ou
bien pris, ou bien machos, ou bien gais. Un seul recours lui était
offert, ayant épuisé toutes ses forces de recherche : le bar.
____Le
bar en question était situé à quelques stations de métro de sa
demeure. Il embrassait tout le quartier avec de puissants rayons
lumineux et de vigoureuses ondes sonores qui pouvaient se faire
entendre à plus de deux coins de rue. L'ambiance y était propice
aux rencontres chaleureuses, et cependant… les gens de sexe masculin
qui fréquentaient cet endroit étaient pour la plupart des phallocrates
de la pure espèce. Il fallait donc se méfier. Mais il n'y avait
plus d'autres choix. Alors, la jolie Maria se résolut donc à plonger
vers les abîmes de l'obscur endroit en quête de quelque solution
à son problème de vie de couple individuelle.
____Après
à peine deux verres d'un cocktail inconnu (la spécialité de la
maison, qui se faisait appeler le " hot-spot ", pour les intimes),
la voilà assise à côté d'un fort étrange mais plaisant jeune homme,
qui, du haut de son collet en V, lui fit quelques doux yeux. Maria
lança donc son lombric vers le branchial qui lui répondit d'un
breuvage sur son compte. Noyée de fluide alcoolisé et d'ivresse
face à sa pêche fructueuse, la jolie se mit alors en branle pour
rembobiner sa ligne ainsi que son flétan aux couleurs vives en
lui soufflant quelques mots gentils au sujet de son apparence
attrayante et de son bon-parler. Lui de lui rendre la pareille,
ils entamèrent une conversation tout à fait vide mais tout à fait
plaisante. Quelques heures plus tard, les voilà tous deux dans
le condo d'Outremont.
____Le
type en question, qui se prénommait Mario, paraissait davantage
affriolant sous l'éclairage tamisé du bar. Maintenant éclairé
comme il se doit, sa carrure s'effondrait par le devant et semblait
vouloir cacher un surplomb de poil poitrinaire. Dégoûté par sa
désarçonnante découverte, elle commença à se méfier. Et si sous
ses allures de jeune homme bien élevé se cachait un mâle féroce
réduit à la suprématie de son sexe? " Horreur, pensa-t-elle, plutôt
crever que de marier ce type. Les machos devraient tous aller
dans des camps de concentration. "
____Le
poisson s'impatientait. Il voyait bien que la fille allait se
désister. Cependant, il était honnête homme, un des rares de l'époque;
il lui quémanda gentiment un endroit pour dormir, vu l'heure,
la situation de son logement et une certaine fatigue qui venait
à l'assaut. Il laissa tomber son dessein de conquérir la fille
pour une nuit. Néanmoins, il était intéressé par sa personne et
se résolut de tenter le coup de la connaître davantage à long
terme.
____De
son côté, Maria était abusée de soupçons excessifs. Pour calmer
sa crainte face à l'étranger, elle élabora un plan qui allait
la mener hors de tout doute sur la réelle nature du brochet. Elle
offrit aimablement un siège à son invité et s'en alla vers sa
chambre. Elle sortit d'un vieux sac de vieux bidules un vieux
pendentif. Il s'agissait d'un petit piment en or, symbole suprême
du mâle machiste. Sous neuf matelas, elle cacha la relique et
invita l'autre déjà à moitié endormi de s'installer au haut du
monticule pour s'assoupir. Elle s'installa sur le divan du salon
et attendit patiemment le lendemain matin. " S'il n'est pas capable
de dormir paisiblement, pensa-t-elle, c'est qu'il aura ressenti
le pendentif avec dégoût, c'est alors signe qu'il est l'homme
que je marierai. "
____Le
lendemain, Mario se leva et eut un peu de difficulté à descendre
des neuf matelas empilés les uns sur les autres. Lorsque Maria
lui demanda si sa nuit fut agréable, il répondit avec adresse
qu'il aurait mieux aimé la passer à ses doux côtés mais qu'il
avait cependant très bien dormi. D'un bond brusque, la jeune fille
détourna ses yeux accusateurs du grille-pain pour les plonger
droit dans les pupilles de son convive. " Je le savais que vous
n'étiez qu'un phallocrate, monsieur, s'égorgea-t-elle, et vous
me dégoûtez! Hors de chez moi! "
" Pardon? interrogea le pauvre
fretin, Quoi? Qu'ai-je fait?
- Ma foi! Sale hypocrite! J'avais caché un pendentif de petit
piment en or sous vos neuf matelas et vous avez quand même pu
bien dormir! Vous n'êtes pas digne que je vous marie et encore
moins que je vous offre un couvert!
- Vous jugez de la nature des gens en larguant des pendentifs
sous une douzaine de matelas? Et vous osez me chasser de votre
demeure comme on se débarrasse d'une bestiole de fond de placard?
Allez vous faire soigner, mademoiselle! Au revoir! "
____C'est
ainsi que, vidant la pièce de sa présence, l'homme parfait qu'était
Mario quitta la femme naïve qu'était Maria. Elle avait ainsi raté
une chance unique... Désespérant sur son destin qui lui échappait,
elle s'abandonna au couvent pour se repentir de son ignoble goût
pour les contes de fée.