> *Pourriez-vous me préciser le contexte de composition de Granny Smith afin
> que je puisse la présenter avec rigueur et finalement, donner le goût aux
> professeurs et aux élèves qui seront présents à cette conférence,
> d'apprendre et de jouer cette pièce. *
Granny Smith a été écrite pendant la grève étudiante de 2005. Je venais de m'inventer un petit système harmonique fonctionnel dans le troisième mode de Messiaen (mais je n'aime pas dire "mode de Messiaen, parce que c'est pas lui qui l'a inventé, alors je parle généralement de ce mode en disant le mode "paupiette" (c'est un mot que j'ai trouvé au hasard dans le dictionnaire), et je voulais construire une pièce brève pour piano pour mettre ce système à l'épreuve. Le système est super simple, en fait: ça marche exactement comme le système tonal, mais avec un mode plutôt qu'une gamme majeure. Il suffit d'empiler le premier, troisième, cinquième et septième degré du mode pour que ça fasse un accord. On construit de tels accord sur chaque degrés du mode, et on construit un pseudo cycle de quinte avec tous ces accords. Au lieu de I - IV - VII - III - VI - II - V - I, ça donne un cycle avec 9 degrés, c'est à dire I - V - IX - IV - VIII - III - VII - II - VI - I (la dominante étant VI). Pour l'enchaînement des fonctions harmonique, eh bien je me suis énooormément inspiré du cours de Luce Beaudet, "Analyse du discours harmonique tonal traditionnel", où j'ai appris une théorie selon laquelle tout le discours tonal de Bach à Wagner était basé sur le cycle de quinte. eh bien il suffit en fait d'appliquer ces mêmes règles à un cycle de quinte home-made, et ça change un brin le langage - mais pas tant que ça! D'où la beauté de la chose.
Euh, je me suis un peu éloigné de la question, mais j'aime mieux t'en dire plus que pas assez, et toi tu couperas! Bon, alors le contexte, c'est qu'on est en pleine grève étudiante, ça gronde partout, tout le monde est fâché, et on voit l'avenir d'une bien piètre façon. En fait, depuis la grève, et même depuis le 11 septembre ou le protocole de Kyoto, ya pas grand monde qui a une vision optimiste de l'avenir et de la vie en général, et je trouve que ça transparaît beaucoup dans la musique contemporaine. La mode est à la musique sombre, déconstruite, chaotique. Granny Smith, c'est un peu le contraire... et la plupart de mes pièces aussi. Je veux que ça respire la vie, c'est une pièce optimiste, très accessible, et qui se veut lumineuse dans un monde trop triste. Elle est très rattachée à la tradition.
> Pourriez-vous aussi me décrire votre rapport à la création et à
> l'esthétisme. Je sais que c'est une grande question, mais cela m'aiderait
> également à parler du processus de composition. D'où vient l'idée première?
> Comment arrivez-vous à développer votre idée? Jusqu'où prenez-vous de la
> liberté par rapport à la "grammaire" de l'écriture musicale? À quel moment
> donnez-vous le titre à votre pièce?
Les idées de composition me viennent du répertoire. Ce sont des calques, des fusions d'oeuvres qui existent déjà et que j'adapte à mon propre style. Je ne me considère pas encore comme étant assez mature pour pouvoir créer du "nouveau", et puis de toute façon, peut-être qu'il n'y a rien de "nouveau", et que tout ce qu'on fait n'est que du remâché qui cogite dans notre inconscient. Ce n'est pas de la copie, ni du plagiat, et ce n'est pas un pastiche non plus, parce que je m'approprie vraiment les idées musicales et elles passent par le filtre Sylvie-Anne Ménard. Pour Granny Smith, j'ai été très inspirée par Medtner, Poulenc et Prokofiev, mais jamais mes pièces n'auraient pu vraiment leur ressembler, parce que de un, je n'ai pas leur génie, et de deux, mon système harmonique n'a rien à voir avec le leur.
Quelques lectures aussi m'aident à composer; une oeuvre majeure qui m'a fait découvrir beaucoup de choses, c'est un mémoire de maîtrise sur les sonates pour piano de Prokofiev, écrit par Jean Boivin (justement, je crois qu'il est directeur de quelque chose à l'université de Sherbrooke, où tu donneras ta conférence). Ce mémoire est une mine d'or pour un compositeur dans mon genre (un peu néo-classique, même si il faudrait trouver une autre appelation, néo-classique étant déjà associé à une autre époque - m'enfin). Ça parle des relations entre la tonalité et la forme, les façons de brouiller une tonalité, les façon d'affirmer une cadence, enfin, tout selon Prokofiev bien sûr, mais bon, c'était vraiment inspirant.
Je m'inpire beaucoup de mes travaux d'analyse sur le langage tonal; on peut pas balayer du revers de la main 300 ans d'histoire de musique occidentale; Mozart, il est mort ça fait un bout, mais il reste quand même un excellent professeur de composition sur le plan narratif, par rapport aux attentes qu'ils créé chez l'auditeur. En fait, la musique, c'est un art dans le temps, alors faut le voir comme si on racontait une histoire. Nous, humains, on est avide depuis l'enfance d'histoire, on veut inlassablement se faire raconter des histoires. Je tiens beaucoup à la trame narrative sous-jacente dans les oeuvres, contemporaines ou pas - je ne parle pas ici d'éléments extra-musicaux ou de musique à programme, je parle uniquement du sentiment: "oh, ceci est un début", "oh, ceci est un milieu", et "oh, ceci est une fin", chose qui n'est pas si évidente que ça en musique contemporaine.
Mes libertés par rapport à la grammaire musicale: eh bien vu que Granny Smith était un exercice d'écriture dans on système harmonique sur le mode Paupiette, je ne me suis pas permis d'écart - parce que je voulais tester le système. Non, c'est pas vrai; j'ai parfois un peu forcé les accords pour qu'ils ressemblent plus au système tonal, je l'avoue... j'ai rajoutés des setpièmes là où il n'y en avait pas, mais bon, c'est mon oreille qui me guide, j'ai un soucis constant de clarté. Le système aura bien beau être solide et se suffir à lui-même, si c'est pas convaincant ou bien pas clair à l'oreille, eh bien il faut l'ajuster. J'insiste là-dessus: c'est de la musique pour oreille, et non pas pour yeux (parce que ça a déjà été la mode...)
Le titre, je le trouve souvent à la toute fin. C'est toujours quelque chose d'un peu incongru, qui part d'une blague, d'une "inside" entre copain... En fait, je venais de lire un article dans la revue "circuit" de John Rea sur la postmodernité, un article que j'ai lu en me disant: "mais que diable es-til en train de dire?!!!" et il comparait la postmodernité avec la pomme Granny Smith. La pièce peut être considérée comme post-moderne, dans l'optique où elle n'est pas moderne et qu'elle accepte des valeurs traditionnelles, mais pas dans l'optique où elle rejette la modernité. j'aime pas trop le mot "post-moderne", on l'emploie à toutes les sauces, et au bout du compte, ya personne qui sait vraiment ce que ça veut dire. Et puis finalement, La granny Smith, c'est un de mes fruits préférés, j'en mange une presque à chaque jour. C'est juteux, sucré et amer en même temps, c'est vert vif, enfin bref, c'est à l'image de la toune, non?
> *À quel moment vos premières idées de composition sont-elles apparues?
> Avez-vous besoin d'un contexte précis pour écrire vos idées musicales? Y
> a-t-il un "déclencheur": une image, une couleur, une odeur, une émotion, un
> souvenir ou tout simplement votre imagination? *
J'ai souvent mes idées dans la douche ou bien dans le transport en commun. Parce qu'on se retrouve tout seul et qu'on cogite, j'imagine. Étant donné que je n'ai pas d'inspiration extra-musicale, je peux difficilement trouver des idées dans les images, odeurs, émotions, etc. c'est pas quelque chose que je rejette, c'est juste pas mon dada en ce moment. Je me trace des lignes, des croquis de la forme avant de tout mettre en place, et je trouve un moyen d'arriver à un climax - c'est important les climax dans les tounes! C'est le bonbon qu'on donne à l'auditeur (et à l'interprète aussi!!!).
> *En général, croyez-vous que le compositeur sente le besoin de mettre au
> défi l'interprète? (technique, pousser l'instrument à son maximum, défi pour
> l'imagination de l'interprète).*
La virtuosité, ce ne doit jamais être un BESOIN. Habituellement, je n'écris pas de pièce sans savoir déjà où et par qui elle sera interprétée. Si je sais que j'ai affaire à quelqu'un de techniquement habile, j'essaierai d'exploiter les forces de l'interprètes. Je savais que Granny Smith, si elle remportait le prix de Maestra, serait jouée par un(e) pianiste professionnel(le), alors j'y ai mis la gomme. Récemment, je me suis mis à faire des oeuvres "sur commande" par des copains qui finissent leur bac ou leur maîtrise en interprétation; j'essaie de leur faire des pièces sur mesure, selon ce qu'ils aiment et ce qu'ils sont capables de faire. Écrire dans le difficile juste pour écrire dans le difficile, c'est creux, et c'est une mauvaise idée, parce que vous risquez de ne jamais être joué! Alors non, ce n'est pas un besoin, cependant, quand j'ai la chance d'avoir un interprète qui est capable, je lui fait jouer du piano à sa hauteur, parce que je veux qu'il brille, qu'on voit son talent d'interprète. C'est pas tout d'écrire des pièces pour sa propre satisfaction de compositeur; faut aussi penser à la satisfaction de l'interprète (et aussi à celui du public, bien entendu).
> *Comment faites-vous face au "monde" de la composition en tant
> qu'étudiante? Est-ce que l'avenir vous fait peur? Considérez-vous la
> composition comme étant un passe-temps ou une "nécessité"?*
Aaaaah.... le monde de la composition.... je sens que j'ai plus ou moins rapport dans le monde de la composition. C'est plein de chicane! Il y a l'école post-moderne opposée à l'école moderne, le monde de McGill contre le monde de l'université de Montréal, enfin, tous ces compositeurs de musique de concert qui s'obstinent à propos de... comment dire... le "totalitarisme esthétique" (parce que soi-disant que les subventions gouvernementales passeaient par le filtre de quelques compositeurs qui forment le jury, dont les critères esthétiques sont très fermés - une toune comme Granny-Smith ne passerait jamais, par exemple, parce que c'est trop traditionnel - ils peuvent difficilement concevoir une pièce avec que des accords classés!!). Mais ça, c'est le lot de la génération au-dessus de la mienne; je m'implique à l'école dans le "cercle des étudiants compositeurs de l'UdM", communément appelé le CéCo, j'étais coordonatrice des concerts l'an dernier, donc j'ai une bonne idée de ce qui se fait de la part de gens de ma génération, et c'est vraiment rafraîchissant, j'aime beaucoup ce qui se fait. Il y a un nouveau courant je crois, qui fait surface; on n'a plus la façon de penser de pierre boulez ou bien des années 70. On est influencé par la musique pop et la musique de film, et je crois pas que ce soit une mauvaise chose. La musique est plus accessible, et touche plus de gens. Enfinb, je parle des gens que je connais à l'université de montréal, qui est très ouverte point de vue esthétique de composition, dieu merci, parce que ça a rien à voir avec l'esthétique prévilégiée par McGill ou bien le conservatoire. Un de ceux qui représente le plus, à mes yeux, ce qui sera la musique de demain, celle qui survivra à ma génération, c'est Denis Gougeon.
La composition n'est pas une nécéssité pour moi, mais la musique l'est. J'ai souvent composé par insatisfaction; je suis dans un concert de musique contemporaine et je suis frustrée de ce que j'entends. j'arrive chez moi et j'écris quelque chose en réaction contre ça. Autrement, je rentre pas vraiment dans le cadre du compositeur normal (ou étudiant à l'université) parce que je suis pluridisciplinaire. Je fais beaucoup de bande dessinée, et je vais probablement continuer mes études en dessin animé avant de reprendre ma maîtrise en musique. Donc, c'est pas la composition qui est une nécéssité, mais la création. Créer est une absolue nécéssité, que ce soit un dessin, une bande dessinée, une toile, une pièce pour piano, un site web, une sculpture, un jeu d'échec, une nouvelle littéraire ou bien de la programmation informatique... (je suis en train d'apprendre le logiciel MAX MSP et je m'amuse comme une DIIINGUE!!)