Chapreon rouge,
vie noire

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[00:13] 1- C'était dans la gorge qu'une forêt profonde. Le brouillard caressait doucement la cime des arbres tandis qu'un timide quartier de lune veillait sur le monde. Il y avait dans cette forêt autant d'arbres que de murmures angoissants. C'est vêtu de noir qu'une jeune fille encombrait les tréfonds des sentiers. Elle marchait parmi les arbres et l'air lourd, fissurant l'atmosphère de son adorable petit chaperon qui lui seyait si bien. On l'appelait dans les environs : la petite du bosquet.

Ainsi elle marchait dans la nuitée. Elle avait le dessein d'aller chez sa mère-grand, très vieille dame usée par l'âge, mais toujours aussi fraîche auprès des hommes. C'était pas obligation, non pas par choix, que la petite du bosquet allait rejoindre la mère-grand. Celle-ci lui offrait un peu d'argent. Elle représentait en fait son unique source de revenu, car la petite avait acquis une mauvaise réputation qui la désavantageait…

 

[01:12] 2- La forêt était immense et cependant, très peu peuplée. On ne distinguait guère les ombres tant la noirceur était intense. Mais là-bas, quelque chose semblait scintiller, une faible lumière orangée de laquelle s'envolait de la fumée.

Il était accoté sur un arbre et semblait attendre quelque chose. Un loup s'était posté dans l'obscurité profonde en quête d'une proie. Il nettoyait ses crocs avec sa langue épaisse quand il aperçut au loin, de son œil vif et blanc, une cible mouvante à portée de voix. Un sourire fendit ses joues creuses, creuses car il y avait bien une semaine qu'il n'avait rien mangé.

[01:58] 3- Le loup s'approcha lentement de la petite, avec la même douceur que le parfum floral qui embaumait la place. C'est d'abord sur son épaule qu'il déposa sa lourde main, en la fixant continuellement dans le blanc de ses yeux angéliques.

" Que fait une victime tout innocemment bâtie dans le ventre d'une forêt obscure? Ce n'est pas très prudent de ta part. "

La jeune fille n'osa répondre. Clouée sur place, elle savait pertinemment qu'elle avait à faire avec un individu suspect, qui ne lui inspirait rien de bon.

" N'aies pas peur, petite, je veux seulement t'aider, tu sembles être égarée. Je ne suis pas méchant, je ne te veux pas de mal, je veux seulement savoir ce que tu transportes dans ton panier.
- Des trucs… des trucs pour ma grand-mère, je dois la voir… C'est qu'elle me fait vivre, vous savez… et… je dois bien lui donner quelque chose en échange. Je ne veux pas retourner à l'orphelinat. "

[02:55] 4- " À l'orphelinat, vous dites. Alors, vous êtes sans parents. Quelle triste histoire, vraiment, elle m'afflige au plus haut point. Notre Dieu tout là-haut est bien cruel de martyriser ainsi la vie des jolies jeunes filles… "

Le loup de s'approcher davantage.

" Ma foi, je me demande si j'aurai assez d'une vie pour me rétablir de ta puissante beauté… Tes yeux font vibrer en moi des cordes qui m'étaient jusqu'alors inconnues. "

Les griffes crasseuses du loup effleurèrent tout doucement la joue de la petite, plus effrayée que charmée, dans la noirceur épaisse de minuit.

" Monsieur, il faudrait que je reprenne mon chemin. Il est tard…
-S'il vous plaît, ma petite, c'est que je me sens si seul dans l'immensité du bois, et ta douce présence m'offre davantage de chaleur d'un rayon de soleil en juillet. Tes manières délicates, tes petits doigts agiles, ton chaperon gracieux, tes cheveux tous légers, ton regard inquiet et fuyant, tout remue en moi un sentiment fort étrange qui apaise mon mal et ma solitude…"

Pas très loin de la, une chouette regardait la scène avec lassitude. Tous les arbres autours semblaient avoir perdu un peu de leur faible clarté. L'atmosphère avait doublé de lourdeur et l'air devenait peu à peu suffocant.

[04:35] 5- " Parle-moi un peu de ta grand-mère.. Où vit-elle? Que fait-elle dans la vie? Je voudrais bien savoir…
-Ma… grand-mère? Elle… enfin, elle a beaucoup d'argent… elle a tout obtenu grâce à un certain héritage. Je vais souvent la voir… elle… elle m'aide à avoir une vie convenable…

À ces mots, devenant un peu trop amical, les doigts grossiers du loups se mirent à monter doucement sur la cuisse de la petite. Son autre main empoigna son sein et il lui chuchota :

" Fais-moi voir ta grand-mère.
-Monsieur, s'il vous plaît, laissez-moi partir… Grand-mère ne veut voir personne sauf moi. Je vous en prie!

Sans prêter attention aux supplications, le loup répondit dans le creux de son oreille :

" Chut… "

[5:34] 6- La petite se débattit d'entre les bras de l'affreux personnage, mais son corps tout frêle ne put rivaliser avec l'appétit vorace du loup. Le panier fracassa le sol et tout son contenu fut dispersé sur la terre humide et froide, là où la petite du bosquet était maintenant étendue de tout son long.

Ses pauvres mains cherchaient à s'agripper à quelque chose, mais les branches cassaient et la verdure empoignée lui restait entre les doigts. Cette nuit-là, tandis que le loup se faufilait avec passion par le chemin des épingles, on entendit des cris sauvages qui déchiraient l'immensité du ciel.

Jamais aucun loup ne mangea avec tant de sauvagesse, jamais aucune fille ne cria si fort dans un lieu si clos. Ainsi le loup mangea la grand-mère d'une petite affolée, terrorisée, abusée des excès de folie de la forêt profonde.

…et bientôt parmi les arbres, on n'entendit plus rien…

[06:23] Épilogue

[06:29] 7- " Merci beaucoup… mademoiselle… ce fut… très bien. "
- Ça fera trois cents dollars.
- Voilà…
- Merci. À la semaine prochaine, monsieur Landry.
- Ouais… à… à la semaine prochaine. "

Après avoir rattaché son corset, la petite mit l'argent dans le double-fond de son panier. Elle remit les préservatifs à l'intérieur avec grand soin et quitta la place. Elle s'en allait probablement offrir sa grand-mère à quelqu'un d'autre.

[07:07] Fin