Nous étions donc rendus à l'apogée de la soirée, à l'adagio, avec ses longs traits langoureux et sa lourde sonorité pathétique. Les violoncelles commencèrent leur pizzicato avec une douceur incroyable, parallèlement à l'orgue majestueux dont les imposants soixante-six jeux de tuyaux chantait juste derrière nos têtes.

 
Tous les violons et les altos ont entamé l'air en même temps. Nous n'avions même pas joué quelques notes que j'apercevais déjà mon archet trembler sous mes doigts. Mon coeur s'élevait dans ma poitrine et se hissait dans ma gorge comme si on poussait une orange dans un entonnoir, à chaque nouvelle note, à chaque nouveau coup d'archet.
 

 
Je sentais que ma vue se mouillait, mais je devais m'efforcer de suivre la cadence des vingt-neuf autres seconds violons... qui semblaient pourtant rester impassibles face à cette furieuse attaque de beauté.
 

 
 
Mais c'était trop pour moi. J'ai dû arrêter.

Et pendant tout le reste du concert, je suis resté assis, là, dans mon costume tout neuf, les mains crispées sur mon violon et archet, trop vulnérable à l'intensité euphorique des sons, impuissant devant ce raz-de-marée de volupté.

 
 
C'était juste... trop beau.