Travail de fin de session pour mon cours de
langage littéraire.
Le texte est pas très réussi, selon moi, puisque la
majorité des gens ne comprennent pas la fin, qui est beaucoup
plus compliquée qu'elle n'en a l'air... j'étais dans
une impasse. Je devais expliquer plus pour faire comprendre le lecteur,
mais ajouter l'explication alourdissait la chute et celle-ci disparaissait.
J'ai opté pour l'implicite... l'autre façon n'aurait
pas été mieux. Bref, ce texte était perdu d'avance.
C'était pendant le mois de novembre,
oh oui, comment pourrais-je ne pas m'en rappeler? Ça ne pouvait être
qu'en novembre, parce que novembre est le pire des mois. Le temps
vous mouille et vous fout un filtre brun devant les yeux ainsi que
des cernes creusées jusqu'à votre glande thyroïde. C'est pendant novembre
que le coeur du soleil s'éteint, que l'eau semble venir de la terre,
que le noir s'accroche à vos idées et entre par vos pores évidées
pour vous contaminer bien profondément. Oui, c'était en novembre,
il n'y a aucun doute.
J'abîmais mon prélart des cent
pas. Je tournais délibérément en rond dans ce taudis miteux qui me
servait d'appartement. Il pleuvait à l'extérieur, je m'en rappelle.
Évidemment, puisque c'était en novembre. Il pleut toujours en novembre.
Même quand il ne pleut pas, il pleut. Nous attendions les premières
neiges qui ne venaient pas. Nous souhaitions ardemment remplacer le
brun lugubre par un blanc serein qui marquerait l'approche du temps
des fêtes. Je dis nous, mais en fait, je veux dire je.
On a toujours tendance à plurialiser nos sentiments quand on
est angoissé.
Non, je ne crois pas qu'angoissé
est le terme juste. D'après moi, on ne peut résumer une telle émotion
en ne sortant qu'un petit mot de huit lettres du dictionnaire. Un
seul mot a-t-il la force de décrire vraiment l'éventail d'états qui
m'ont hanté durant cette période? J'en doute fort. Un seul mot n'a
aucune puissance. C'est pourquoi je ne dirai pas que j'étais angoissé.
Il était à peu près deux heures du matin. J'avais un crayon dans la
main mais je n'avais sorti aucune feuille de papier. Celles-ci étaient
soigneusement rangées dans un cartable qui se trouvait quelque part
dans la pièce, mais c'est sans importance.
Voilà quelques jours que je n'avais
pas pu trouver le sommeil. Ma bonne maman me disait autrefois qu'une
bonne tisane à la camomille était le remède ultime contre l'insomnie.
Cette fois-là, j'en avais bu tellement que j'étais toujours rendu
devant la cuvette en train de la pisser. Peut-être était-il écrit
dans mes gènes que la fleur de camomille n'avait aucun effet sur mon
organisme. En tout cas, elle me faisait plus uriner qu'autre chose,
je conclus donc que cette tentative était vaine et qu'il me fallait
essayer autre chose. C'était dans le temps où j'avais pris congé de
la faculté, faute de moyens. J'avais le plan de me trouver un emploi
d'ici décembre, mais j'étais trop frileux pour aller me geler les
fesses chez les employeurs, tous plus froids les uns les autres. Je
vivais grâce à un don généreux que ma mère m'avait si gentiment offert
pour me faire vivre encore un peu… Elle avait peut-être pitié du pauvre
type que j'étais dans ce temps-là. Le seul objet de valeur que je
possédais (parce que je vivais très modestement et ne sortais que
très rarement de chez moi…) était cette montre que je ne pouvais délasser
de mon poignet. Le seul luxe que je ne me sois offert durant mes années
d'étude, c'était cette montre. Elle était très belle, ma foi. De petits
ornements d'or et d'argent, de fines aiguilles aux courbes hypnotisantes…
Elle ne me quittait jamais, c'était mon seul contact avec le monde
réel. Non, c'est faux, elle m'a quitté une seule fois. Je l'avais
prêtée à un ami, je ne me souviens même plus pour quelle raison. Je
venais seulement de la ravoir lorsque l'insomnie commença à me tourmenter.
Quand je ne faisais pas les cent
pas, j'étais étendu dans mon lit. Mes paupières étaient fermées, mais
mes yeux étaient alertes. Je sentais mes pupilles vibrer tandis que
mon corps engourdi refusait de s'abandonner. Quelque chose m'empêchait
de dormir, comme si j'avais oublié un truc d'important, de la même
manière que lorsque l'on a un mot sur le bout de la langue qui refuse
de voir le jour. Je sentais le temps en arrière de moi, un peu comme
si j'allais plus vite que lui et que je m'exposais sans armure à la
rudesse de l'inconnu, un peu si on vous nommait éclaireur de l'humanité
lors de la découverte d'un terrain hostile. Je me sentais en tête
de file tandis que la totalité de l'existence était à genoux derrière
moi et attendais mon verdict. Mon être semblait devancer le monde
entier à contrecœur, et de là naissait cette perturbation inexprimable.
Deux jours passèrent. J'avais
fermé les stores pour pouvoir rester dans la pénombre vingt-quatre
heures sur vingt-quatre. Qu'il fasse jour ou nuit, cela m'importait
peu; je voulais seulement dormir. Vous savez, l'insomnie, ça ressemble
à une transe, où l'on se sent tout à fait en-dehors de son corps physique
en souhaitant ardemment y revenir. Les murs de ma demeure rétrécissaient
à mesure que les heures me tuaient à petit feu. La petit aiguille
bougeait, je mourais un peu plus. Je voulais tellement dormir.
Là, j'étais étendu sur le plancher.
Le vert terne du plafond semblait rire de moi. Ils ont la belle vie,
les plafonds. Ils se tiennent toujours à l'horizontale, au-dessus
de tout, et n'ont même pas à se tourmenter de quoi que ce soit. Ils
m'ont toujours été plutôt intimidants par tout le pouvoir qu'ils ont
sur nous, tellement gigantesques au-dessus de nos têtes qu'on les
oublie souvent. Cependant, même cette présence ne semblait nullement
affecter mon angoisse. Il se tenait prêt à bondir, mais je me sentais
en avance sur lui, comme si j'avais pu prédire le moment exact où
il s'abattrait sur moi. Je lui faisais des clins d'œil, des grimaces,
je me sentais supérieur à lui, malgré mon état ironiquement faiblard.
" Tu ne me fais pas peur, dis-je, tu ne peux rien contre moi! Ah ah
ah! "
"Diantre. Voilà que je parle à
mon plafond."
Quelques jours passèrent encore
sans que je puisse trouver le maudit sommeil. J'avais cessé de faire
les cent pas parce que je ne pouvais plus tenir debout. La porte vomissait
quelques lettres par sa fente à chaque jour, mais je n'y prêtais même
pas attention. Je robinet fuyait, je ne m'en étais jamais rendu compte
avant. Le lit était maintenant endroit à proscrire. C'était un purgatoire
terrien. On pouvait respirer de partout dans l'appartement l'humidité
poignante qui semblait prendre vie dans mes poumons afin de m'achever
un peu plus. Les tic-tac sourds de ma montre jouaient une petite symphonie
amusante avec la poésie du robinet. Ma tête était posée sur la table
de la cuisine et elle ne bougeait pas. J'aurais aimé alors un verre
de whisky, mais je n'en avais pas, et j'avais encore moins la force
d'aller en acheter.
Devant moi, la télévision murmurait
des phrases que je ne comprenait plus. L'effort pour essayer de interpréter
la lumière et le bruit s'avérait être un défi surhumain. Les images
dansaient sur l'écran sans que je puisse pour autant les assimiler.
Des gens parlaient, une bouteille de savon à lessive dansait et sautait
partout, les sons s'entremêlaient, mais tout tintait tel un code morse.
Je n'ai jamais appris le morse. J'aurais peut-être dû.
Voilà qu'un homme annonce la
météo - voilà un langage qui est universel, on ne peut que le décoder,
avec ses petits symboles qui représentent de la pluie, de la pluie
et toujours de la pluie. Des messages écrits défilaient au bas de
l'écran, mais évidemment, je ne pouvais pas les lire, même en essayant.
Ma tête était trop enfoncée sur la table de la cuisine, mon oreille
a probablement produit de la buée sur le plastique marbré. L'heure
était écrite. En bas, à droite, elle ne changeait que rarement. Quelques
fois, les petits bâtons qui formaient le chiffre à l'extrême droite
du code de l'heure tombaient, se redressaient, me surprenaient toujours.
Je ne sais pas qu'est-ce qui m'a pris de regarder ma montre à ce moment
là. Je ne sais pas quel élan divin me suggéra de regarder les aiguilles
de ma compagne qui dormait sur mon poignet.
Ma montre avait quinze minutes
d'avance.
J'ai reculé l'heure de quinze
minuscules minutes. Ce soir-là, je crois que jamais dans toute l'histoire
de l'humanité un homme n'a aussi bien dormi.
[...]
Quand je me suis réveillé, il
neigeait.