<Littérature>

Travail de fin de session en littérature musicale. Le teste était pourvu de quelques images ainsi que de notes en bas de page, mais pour les besoins de la cause, je les ai omises pour cette mise en ligne du texte; rapportez-vous à la bibliographie pour les notes en bas de page (les livres de la bibliographie, je les ai tous lus, de la première page à la dernière page, sauf peut-être un!! j'étais vriament motivée!). Les images n'étaient pas vraiment utile; il aurait été intéressant par contre que j'ajoute un schéma des différentes battues possibles, ça aurait créé un peu plus d'intérêt chez le lecteur...

Qu'est- devenu le dictateur musical?

INTRODUCTION

La musique ne cesse d’évoluer à mesure que le temps file. Il n’y a pas si longtemps, à peine quelques siècles, nous découvrions la polyphonie, et voici qu’aujourd’hui nous utilisons la technologie pour exprimer nos idées musicales. Notre conception de la musique est loin d’être la même qu’il y a un millénaire. Tout évolue; les instruments se perfectionnent, les mœurs changent et les rôles se modifient. Le métier de chef d’orchestre ou chef de chœur a beaucoup changé dans sa définition et dans sa fonction, plus précisément au cours du dernier siècle. Il eut une apogée, où il régnait en roi, en père spirituel de la musique. Les temps changent, et il n’en est plus ainsi; qu’est-il devenu aujourd’hui? Il est évident que le rôle du chef d’orchestre a grandement évolué au cours des époques. Penchons-nous sur cet être, sur l’histoire du chef d’orchestre, sur ce qu’il est aujourd’hui et sur ce comment il est enseigné pour les générations futures.

Historique du chef d’orchestre

La direction d'un groupe d'interprètes ne date pas d'hier; en effet, déjà à l'antiquité, on retrouve dans les tragédies grecques des coryphées qui donnent la ponctuation exacte et les entrées des chants du chœur. On en voit même qui frappent le sol de leur pied pour bien signaler chaque syllabe - d'où le nom « pied » pour désigner les syllabes de vers en poésie. Ce rôle de chef a toujours été nécessaire pour assurer la coordination d'un large groupe d'individu. Seulement, à ses commencements, il n'est nullement question d'interprétation.

La renaissance

C'est surtout à l'apparition de la polyphonie que le besoin d'un chef se fait ressentir. Pour assurer la coordination de plusieurs voix différentes, il est nécessaire d'employer un chef qui donne une ligne directrice commune à toutes les voix. Outre sa fonction de coordination, le maître représente celui qui doit savoir toutes les parties afin de corriger lui-même les erreurs occasionnelles de la part de l'une ou l'autre des voix. À travers l'Europe, pour assurer la coordination du chœur, on emploie des moyens plus ou moins bruyant de battre la mesure: parfois un bâton qui frappe la pulsation sur le plancher, parfois (notamment dans les chorales) avec un rouleur de papier. Le maître se place parfois dos au groupe (donc face au public), entre le chœur et l'orgue, afin d'assurer une parfaite coordination entre les deux.

Bientôt, le besoin d'interprète entre le clavier et la chœur disparaît. Avec la montée du continuo, le groupe choral est surtout dirigé par le musicien responsable de cette basse continue (surtout l'orgue et le clavecin, parfois le violon). À cette époque, la création, l'exécution et la direction ne font qu'un; les créateurs portent ainsi la charge d'une très lourde responsabilité, d'autant plus que les répétitions sont fort peu nombreuses – dû notamment au manque de temps et d'argent.

Le classicisme

Dans la période du classicisme, c'est surtout au clavier que les compositeurs s'emploient à diriger, notamment Mozart, qui un jour affirme: « C'est au clavier que je veux diriger, accompagner les airs. » Haydn aussi, avec la déchéance du continuo qui perd peu à peu toute sa raison d'être, décide de diriger du clavier, mais la responsabilité de la direction de chœur et d’orchestre (et non pas seulement que de chœur) est répartie avec le premier violon. En Italie, au même moment, c'est au premier violon que revient la tâche de diriger. D'ailleurs, dans son Dictionnaire de la musique de 1767, Rousseau qualifia le premier violon de « chef de l'orchestre »; « C'est lui qui donne l'accord, qui guide les symphonistes, qui les remet quand ils manquent et sur lequel ils doivent tous se régler. »

Cependant, la mode italienne du premier violon comme chef absolu n'acquiert pas la bénédiction de tous. L'opéra de Paris présente alors des oeuvres qui ne sont pas dirigées par le premier violon, mais bien par un individu, un batteur de mesure. Amusés, certains lui donnent le surnom de « bûcheron » car il semble fendre du bois lorsqu’il bat la mesure. Cette méthode est vivement critiquée, jugée dérisoire et inutilement fatigante; la mesure représente à elle seule « l'âme de la musique » et il est donc inutile de la battre. Cette façon de diriger était réservée seulement que pour la musique chorale et il semble absurde de l'utiliser pour la musique d'orchestre. Cependant, c'est la solution à ce qu'on pouvait reprocher aux orchestres italiens; sans battue bruyante, ceux-ci étaient réduits à ne monter que des arias avec des accompagnements orchestraux de peu d'ampleur et une absence de chœur, car ceux-ci étaient si éloignés de l'orchestre qu'ils pouvaient difficilement être dirigés silencieusement.

Un des premiers « dictateur musical » tel nous pouvons nous l'imaginer aujourd'hui est Lully. Celui-ci compose, dirige, recrute et forme les musiciens. Il représente la figure autoritaire que l'on attendait dans la domaine musical. C'est d'ailleurs en battant la mesure qu'il courrut à sa perte; il avait coutume de diriger soit au clavier, au violon ou bien à l'aide d'une canne qui percutait le sol à chaque battue. Un soir de janvier, la canne vint infortunément lui fracasser le pied et la blessure infectée lui causa la mort.

Le romantisme

Au cours du XVIIIe siècle, les orchestres s'élargissent de façon impressionnante. Ils passent de quarante exécutants à cent seize, avec Wagner, en 1876. Plusieurs facteurs sont en cause, notamment la création de salles publiques, la popularisation des représentations, l'explosion de tendances artistiques et aussi la naissance d'orchestres importants qui pour certains deviendront de réelles institutions (par exemple, la Société Philharmonique de Londres en 1813 ou bien l'Orchestre Philharmonique de Vienne en 1842). Toutes ces institutions ont un point en commun: elles sont toutes dirigées ou bien d'un bâton, ou bien d'une baguette ou bien d'un archet.

De plus en plus, on utilise la baguette plutôt que l'archet et la technique de gestique se développe de façon impressionnante. On assiste aussi à la montée de l’autorité du chef sur son ensemble, et c'est à cette période de l'histoire que le rôle du chef prend un tournant; jusqu'ici, les compositeurs étaient considérés comme les meilleurs interprètes de leur oeuvre. Cependant, la technique de direction se raffine et les orchestres ne cessent d'augmenter. La direction devient de plus en plus compliquée et les ensembles de moins en moins faciles à diriger. On ne retrouve plus forcément les qualités de chef chez les compositeurs. Les chefs commencent maintenant à se démarquer entre eux, par leur recherche d’interprétations et de timbres différents, ainsi que par leurs nouvelles fonctions au sein de l’orchestre.

Un des précurseurs de la nouvelle conception de l'orchestre comme étant un instrument à part entière est sans contredit Hector Berlioz. Il ne supporte pas d'entendre sa musique dirigée par d'autres, c'est ce qui le pousse à vouloir lui-même diriger. Il apporte d'importantes nouveautés dans l'écriture orchestrale et il écrit le tout premier traité de direction d'orchestre: le chef d'orchestre, théorie de son art. Il considère la direction bruyante comme une moyen complètement ignoble de diriger: « C'est plus qu'un mauvais moyen, c'est une barbarie. »

En Allemagne, un personnage important fait des ravages. Wagner considère le chant comme étant une compétence importante chez tous compositeurs et chefs, et c’est sur cette idée qu’il développera une nouvelle manière de diriger. Il fut d'abord Kapellmeister (premier violon) et reprochait au théâtre de répertoire de puer la routine... Plutôt connu pour ses opéras astronomiques, il est probablement le premier à ne pas battre la mesure: il dessine la mélodie dans les airs plutôt que de maintenir un tempo. De l'école Wagnérienne sont nés plusieurs chefs, dont Hans Richter, Hermann Levi, Felix Mottl, ainsi que Hans von Bülow.

La première moitié du XXe siècle

La musique devient de plus en plus un événement mondain. On assiste à un engouement général pour la musique orchestrale, les concerts changent graduellement pour des spectacles autant pour les yeux que pour les oreilles. Une tendance vient alors s'installer parmi les chefs; leur façon de diriger devient à elle seule une attraction. C'est le cas en France pour Louis Adolphe Jullien, qui avait pour baguette un bâton d'ivoire surmonté d'un diamant. Toujours en France, afin d'attirer un public encore plus nombreux, Jules Pasdeloup eut l'initiative d'offrir des concerts populaires à très bas prix où l’orchestre alterne avec des numéros de cirque. Le chef d'orchestre se veut alors aussi, d'une certaine façon, chef d'entreprise...

L'Angleterre et les États-Unis fleurissent de nouveaux orchestres tandis que le terrain continue d'évoluer partout en Europe. De plus en plus, le rôle de chef de distingue du rôle de compositeur. Si la tendance fut, depuis le XXe siècle, de revenir davantage aux classiques du répertoire musical, Ansermet, en suisse, considérait que le chef avait une mission éducative à remplir à l'égard de son public: celle de lui faire découvrir les compositeurs contemporains. Malheureusement, plus souvent qu’autrement et sauf exceptions, le public boude les œuvres contemporaines…

Le premier grand chef professionnel est Hans Von Bülow, formé par Liszt et Wagner. C'est notamment grâce à lui que la Philharmonie de Berlin acquiert sa réputation qu’elle possède encore aujourd'hui. Mémorable par sa tyrannie et ses caprices, il eut une grande influence sur Mahler et Richard Strauss.

Mahler débute d'abord avec l'orchestre et ensuite avec l'opéra, où il entreprend de refaire jouer des classiques tels que Mozart et de changer leur caractère joli et naïvement académiste pour les rendre plus clairs et véridiques. L'essentiel de son oeuvre en tant que compositeur est symphonique et il en fut un furieux défenseur. Il dirige alors avec une fougue impressionnante d'extraordinaires fresques orchestrales. Lui-même a écrit: « Jamais je n'avais rêvé que par un seul geste impérieux, il fût possible d'inspirer aux autres une terreur inquiète et de les forcer à une obéissance aveugle. »

De l'autre côté, Richard Strauss est un fidèle du répertoire. Selon lui, l'authenticité prime avant tout, il préfère donc suivre la partition à la lettre. Il ne bouge que très peu ou pas du tout; il affirme même que la direction doit d'abord se faire avec les yeux, et qu'un chef de doit jamais transpirer le soir du concert. Son impassibilité devant l'orchestre reste encore légendaire; il tente de remettre l’ordre dans les envolées et les libertés trop grandes que s’est permise l’époque romantique.

De plus en plus, les chefs effectuent des tournées en Europe, non pas pour faire connaître des oeuvres mais bien pour faire connaître des interprétations. Un simple changement de « baguettiste » suffit pour changer diamétralement la couleur d'une oeuvre symphonique. Le publique en est ravi, on n'entend jamais deux fois la même pièce. On ne néglige jamais le rôle premier du chef, qui est de rendre le plus fidèlement possible les intentions du compositeur, mais le chef doit les rendre vivantes par son propre intermédiaire. La montée des interprètes engendre aussi la montée des critiques, qui se veulent les « interprètes des interprètes ». La discipline, la présence physique et la tyrannie, que l’on jugeait au début du siècle comme un total manque de respect envers les musiciens, sont alors vus comme des attributs nobles et nécessaires chez les chefs d'orchestres. Vraisemblablement, on peut comparer le chef d'orchestre à un acteur dont le corps suggère l'interprétation musicale optimale aux musiciens.

L'arrivée du disque et de la radio laisse une marque importante sur le métier de chef d'orchestre. Les nouveaux moyens de diffusion de la musique ont un effet médiatique sur certains chefs, qu'on peut alors considérer comme de réelles vedettes. Plusieurs figures marquent alors le XXe siècle, autant en Europe qu'aux États-Unis (beaucoup de chefs européens émigrent vers l'autre continent), tels que Toscanini, Furtwängler, Bruno Walter, Klemperer ou Stokowski. La baguette est maintenant objet de débat; en a-t-on vraiment besoin? Certains chefs comme Pierre Boulez préfèrent ne pas l'utiliser. La naissance de musiques contemporaines complexes au cours du XXe siècle vient rendre la tâche du chef de plus en plus étoffée, car celui-ci doit toujours se mettre à jour dans les nouvelles règles et les nouvelles intentions des compositeurs modernes.

Le déclin du totalitarisme musical

Tout comme les autres professions de la musique, le métier de chef d'orchestre a grandement ouvert ses horizons pendant le XXe siècle; on retrouve maintenant des chefs de toutes les nationalités et l'émergence de chefs femmes, qui s’est longtemps fait attendre, arrive enfin; par exemple, Nadia Boulanger, qui est la première femme chef à diriger des concerts symphoniques sur deux continents, ou Jane Evrard, qui fonde un orchestre féminin à Paris en 1930. On voit aussi de plus en plus d'individus de race noire jouer de la baguette, notamment James DePriest, assistant de Leonard Bernstein à New York.

On se bouscule pour diriger, l'orchestre est parfois augmenté d'équipements électroniques pour satisfaire les besoins des compositeurs contemporains, et ainsi le chef devient davantage un « coordinateur », un « opérateur » de l'orchestre. Jamais les chefs n'ont été aussi nombreux et diversifiés. On redécouvre le baroque, mais on boude de plus en plus le renouvellement de la musique. Les chefs se tournent vers l'héritage musical plus vendeur, car la musique devient contre leur gré une grande industrie qui se doit rentable. Les chefs deviennent de véritables vedettes de spectacle et même des supports publicitaires. Lorin Maazel, qui fut directeur de l'Opéra de Vienne, affirme un jour:

Pour survivre, les orchestres doivent donner des concerts, faire des enregistrements. Alors... qu'ils soient fatigués, grippés ou moribonds, les chefs doivent diriger. On croit que c'est une chance? C'est une catastrophe, car ils dirigent beaucoup trop. Le jour, la nuit, n'importe où, n'importe comment, pour faire fonctionner le système. Personne ne le dit, mais je vous l'affirme: les chefs sont devenus de véritables esclaves.

Certains découvrent que la popularité du chef repose davantage sur l'image que sur le style; le public est fasciné par les grands noms, et pour eux, bien souvent, il n'est plus nécessaire d'être talentueux ou d'avoir un style personnel, l'apparence l'emporte, au grand désavantage des artistes créateurs.

Plus le XXe siècle file, moins les chefs ont cette attitude dictatoriale qui leur était jadis indispensable. La création de syndicats y est pour beaucoup, mais elle n'est pas la seule cause; les musiciens sont de plus en plus disciplinés et les chefs ont de moins en moins à imposer leur autorité. Le chef, qui avait occupé la position du maître absolu, descend peu à peu les échelons; notamment dans le domaine de l'opéra, où l'écart la fosse et la scène s'agrandit, où les metteurs en scène sont parfois fiers ne n'avoir aucune notion musicale. La musique est sujette aux lois du marché; les libertés d'interprétation ne sont plus ce qu'elles furent et le chef se doit de conserver une certaine image pour survivre. Mais malgré la diminution de l'autorité du chef sur l'orchestre, le publique reste toujours fasciné par ses gestes. Le chef est plus que jamais le pont entre les musiciens et le publique...

Le rôle du chef d'aujourd'hui

A-t-on besoin d'un chef d'orchestre? Le chef d'orchestre est-il vraiment nécessaire? En vérité, aujourd'hui, il est difficile d’affirmer avec conviction que le chef est un mal nécessaire. On assiste au XXe siècle à l'éclosion de quelques orchestres expérimentaux qui n'ont aucun chef, notamment l'orchestre de Persimfans, un orchestre de chambre soviétique qui avait adopté la décision d'opérer sans chef, à l'aide d'un disposition spéciale des instrumentistes. Cependant, le débat suscite de vives réactions; les opinions diffèrent, mais les évidences nous amènent à cette pensée: le chef n'est pas absolument et impérativement nécessaire, mais très vivement indiqué et adéquat. Il représente entre autre le support visuel sur lequel le publique peut s'accrocher, mais évidemment, ce n'est pas tout. Le célèbre chef allemand Furtwängler soulève dans ses entretiens qu'un chef se doit d'agir selon ses propres impulsions pour définir les intentions du compositeur. Un orchestre sans chef doit être tout réglé d'avance et doit donc avoir pratiqué d'intenses et longues répétitions, ne laissant aucune place à une part d'improvisation et « d'inspiration du moment » le soir du concert (théorie émise par Furtwängler). Ces nombreuses répétitions coûtent excessivement cher et la musique qui en résulte ne peut être que plus mécanique et moins spontanée. Évidemment, on parle ici de chef d'orchestre ou de chef de chœur à déploiement normal, on ne traite pas de l'opéra, où le chef est impératif pour faire le lien entre la fosse et la scène, ou d’œuvres qui nécessitent un orchestre décuplé dans son effectif, donc une coordination accrue, telle la symphonie "mes milles" de Mahler.

Pour être nécessaire, le chef doit lui-même légitimiser sa présence en apportant sa touche personnelle; l'époque des batteurs de mesure est révolue. Il doit assurer la coordination et l'interprétation commune de l'orchestre, et ce au fruit de peu de répétitions. Le chef doit, d'une part, objectivement, prendre soin de la technique, de l'effectif et de la mise en place de son orchestre, ainsi que du contexte historique dans lequel se situe l’œuvre. Le chef doit analyser et étudier l’œuvre afin d’exposer le plus fidèlement possible les intentions du compositeur et il doit tout rendre aux exécutants grâce à une grammaire de gestes, les plus clairs et précis possibles. Les timbres et nuances doivent être bien répartis dans l'orchestre sans être exagérés, sans faux rubatos. L’œuvre doit « bien sonner » grâce à l'interprète, qui a comme charge de lui redonner vie; donc, d'autre part et subjectivement, l'artiste doit libérer la vie de l’œuvre, lui faire exprimer l'abstraction du propos, lui faire paraître sa sensibilité pour qu'elle arrive à toucher le public. Le chef doit donc répondre à son idéal, son but fixé quant à l'expression de la pièce, par le biais d'un orchestre. Son autorité est de mise mais peut lui être désavantageuse à l'égard de musiciens réticents.
Le chef doit être actif dans la préparation de l’œuvre, dans les répétitions et dans le concert lui-même. L’analyse de l’œuvre dans son contexte historique est impérative pour traduire le vœu initial du compositeur. Il prépare aussi quelques indications techniques, avec le premier violon, qui lui s’occupe de synchroniser les coups d’archet. Lors des répétitions, l’artiste doit exiger des instrumentistes ce qu’il perçoit de l’œuvre, il s’identifie à son idée comme il doit l’imposer. Le soir du concert, ses manœuvres ne sont réduites qu’à l’essentiel, et si les répétitions ont porté fruit, le résultat transparaît lors de l’écoute. Le chef ne doit pas réinventer l’œuvre; il est l’ambassadeur, le porte-parole du créateur.

Quelles sont les caractéristiques requises pour diriger?

Voici ce que propose le livre Fundamentals of conducting : pour diriger un orchestre professionnel, il faut : une lecture à vue supérieure; un talent musical inné exceptionnel; une longue période d’entraînement intelligent dans tous les domaines musicaux; la connaissance du piano et préférablement d’un instrument d’orchestre; un entraînement spécial dans la technique du maniement de la baguette; beaucoup d’expérience de direction avec des orchestres en temps réel.

En fait, on nous propose ici les acquis techniques idéaux pour diriger le mieux possible, mais le chef le plus compétant du monde ne saura rien soutirer d’un orchestre s’il n’a pas des qualités d’animateur et des qualités humaines hors du commun. Ce métier est d’abord un métier de communication où le chef représente la dimension spirituelle de la musique, qu’il doit absolument partager avec les instrumentistes. Une patience incroyable est aussi nécessaire, ainsi qu’une persévérance à toute épreuve. Le chef doit être extrêmement clair dans ses gestes et ses intentions, même si celles-ci se révèlent être l’image de l’abstraction. De plus, il doit être un érudit, comme l’indique Hermann Scherchen :

Une excellente culture générale et une parfaite et une parfaite connaissance des problèmes contemporains relatifs à son art est indispensable à son activité. Prenons la pléthore de styles que l’on a vu surgir ces dix dernières années : impressionnisme, expressionnisme, individualisme, art collectif, néo-classicisme, […] musique en quarts de ton.. Quelle profusion de concepts, d’essais stylistiques, d’expériences et solutions, d’abstraction et d’art véritable! Il ne faut pas jouer Stravinsky comme Shönberg […].

Toutes ces caractéristiques convergent vers la conception du chef d’orchestre idéal. Ces qualités requises ne cessent d’augmenter et le métier devient sans cesse plus exigeant, notamment par l’arrivée de nouvelles technologies qu’il doit apprivoiser, mais aussi par le besoin de plus en plus indispensable de rentabilité de l’orchestre. On assiste à la fragmentation du métier, où la division de la tâche augmente sans cesse.

Est-il possible d’enseigner la direction d’orchestre?

Longtemps, la pensée populaire semblait vouloir croire que les talents de direction d’orchestre étaient innés, donc impossibles à enseigner. Cependant, aujourd’hui, la conception du chef d’orchestre a grandement changé. La technique s’apprend, effectivement, notamment dans quelques institutions, comme l’école Pierre Monteux, par exemple, aux États-Unis. Néanmoins, le meilleur moyen d’apprendre est encore l’expérience acquise; on peut toujours enseigner les clefs et la technique de base de direction, mais l’interprétation en tant que telle doit venir de l’individu même.

La méthode d’enseignement est complexe car le métier l’est. Le chef ne va pas directement toucher l’instrument qu’il joue, comme une touche suit directement l’impulsion du doigt du pianiste. Le chef doit passer par l’intermédiaire d’un groupe d’êtres qui eux s’occupent d’un instrument. Certains maître enseignent à leur élève la gestique appropriée et la façon la plus appropriée de communiquer l’interprétation. Seulement, pour des raisons de budget, on ne peut pas offrir un orchestre de professeurs au profit d’un seul élève. Alors, le maître incarne à lui seul un orchestre entier, qui chante la partition et qui se fait diriger par l’élève. L’élève doit être conscient de toutes les parties à la fois, car le professeur peut l’arrêter quand bon lui semble pour lui poser une question sur la façon dont tel instrument se comporte pendant telle partie.

Malgré tout, même si la formation musicale offerte dans les institutions qui forment les chefs peut être considérée comme fortement utile, elle n’est pas indispensable. Plusieurs chefs compétents ont su se démarquer et ont acquis leur assurance avec l’expérience et ont finalement appris à diriger « sur le tas ». Cependant, la formation peut éviter beaucoup d’essais et erreurs quant à l’optimisation des gestes communicatifs.

CONCLUSION

Maintenant contraint par la loi du marché, le chef d’orchestre n’est plus libre comme il l’a été auparavant. Les chefs d’aujourd’hui doivent assurer leur rentabilité prioritairement par la quantité de concerts et non par la qualité de ceux-ci. Heureusement, rien n’est coulé dans le béton et les jeunes chefs en devenir pourront éventuellement, grâce à l’éducation qu’ils ont reçue, faire s’éloigner le domaine de la musique du monde déshumanisant de l’offre et de la demande. Au cours des siècles, le rôle du chef s’est toujours de plus en plus concrétisé et précisé, d’abord par sa nécessité et ensuite pour la couleur spéciale et personnelle qu’il pouvait apporter à un orchestre. La renommée du chef a acquis tant d’importance qu’on n’y vit un moment qu’une figure médiatique, un « look » plutôt qu’un interprète à part entière… Néanmoins, jamais l’esprit créateur ne s’est réellement estompé et il n’est pas prêt de disparaître. À quand viendra l’artiste rédempteur qui viendra remplir sa tâche de direction, sans désir de prestige, sans obligation de rentabilité et pour le seul amour de la musique? Un tel événement ne serait possible qu’avec un retour aux mécènes… Les mécènes ont-ils seulement encore une chance d’exister? Il en auraient une si les valeurs de notre société actuelle n’étaient pas basées sur le profit…



Lexique

Accelerando : En accélérant – indique qu’on doit augmenter progressivement le tempo.

Architectonique : Qui a rapport à l’art de l’architecte quant à la structure et l’organisation musicale d’une œuvre.

Attaque : À l’orchestre : accent initial et manière de débuter – accent donné à un début, qui implique le plus souvent l’entrée d’un groupe d’instruments.

Battue : Temps frappé, donc premier temps d’une mesure – diviser la pulsation par une geste pré-déterminé.

Continuo : Procédé de notation de la basse au moyen de chiffres correspondants aux degrés de différents sons de l’accord.

Gestique : Ensemble des gestes codés comme moyen d’expression.

Mimique : Ensemble des gestes expressifs et des jeux de physionomie qui communique une idée musicale.

Mouvement : Vitesse d’un fragment musical.

Phrasé : Ensemble des moyens mis en œuvre dans l’exécution pour rendre sensibles la structure de la phrase, ses divisions, ses attaches, ses trajectoires, ses fluctuations dynamiques, ses modifications de vitesse et enfin l’articulation et les modes d’attaque de chacun des sons qui la compose.

Ritardando : Ralentir le tempo progressivement.

Rubato : Abandonner la rigueur de la mesure au profit d’une interprétation expressive.

Tempo : Mouvement dans lequel s’exécute une pièce musicale. Il s’organise sur la pulsations de la mesure.

Timbre : Qualité subjective d’un son qui fait que celui-ci paraît agréable ou désagréable à l’oreille.

Bibliographie

FURTWÄNGLER Wilhelm, Musique et Verbe, France, éditions Albin Michel/Le livre de poche, collection Pluriel, 1979, 413 pages.

INGHELBRECHT D.E., Le chef d’orchestre parle au public, Paris, Éditions Julliard, 1957, 213 pages.

LIÉBERT Georges, Ni empereur ni roi chef d’orchestre, France, Éditions Gallimard, 1990, 176 pages.

MICHEL François, Encyclopédie de la musique, Paris, Éditions Fasquelle, 1958, 3 volumes

NOYES Frank, Fundamentals of Conducting, Iowa, Éditions W.M.C. Brown Company, 1954.

OUVRY-VIAL Brigitte et Ziesel Georges, L’orchestre; des rites et des dieux, France, Éditions Autrement, 1988, 234 pages.

SCHERCHEN Hermann, La direction d’orchestre, France, Éditions Actes Sud, 1986, 324 pages

SÉNART Jean-François, Le geste musicien, Québec, Éditions Louise Courteau, 1988, 99 pages


Discographie

BEETHOVEN, Symphonie no 9 et symphonie no 6 « Pastorale », Karl Böhn et Wiener Philarmoniker, Deutsche Grammophon, #413 721-2, 1971, cote :1971

BEETHOVEN, Symphony no.9 « Choral », Charles Münch et Boston Symphony Orchestra, RCA Victoria, #VICS-6003, 1965, cote :2388

BEETHOVEN, Karajan in rehearsal, Symphony no.9 in D minor op 125, Herbert von Karajan et Berlin Philarmonic Orchestra, Deutsche Grammophon, #643 201, 1968, cote :483

BEETHOVEN, Nine Beethoven Symphonies, Arturo Toscanini and NBC Symphony Orchestra, RCA Victoria, #LM-6901, 1958, cote :1847

BEETHOVEN, Ode to joy, Otto Klemperer et The Philharmonia & New Philharmonia Orchestras, Angel EMI, #s-36815, date inconnue (après 1969), cote :1829


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Toutes les images proviennent de: LIÉBERT Georges, Ni empereur ni roi chef d’orchestre, France, Éditions Gallimard, 1990, pp. 3, 20, 24, 38, 41, 57, 76, 77, 102, 123.