L'autobiographie en bande dessinée

Conférence du 15 mai 2005

Quand on pense à l'âge d'or de la bande dessinée, ce sont les grand noms francos-berlges qui nous viennent en tête, tels que Franquin, Hergé et compagnie; en amérique, on pense aux comic books, avec les super-héros qu'on connaît tous; mais dernièrement, un nouveau genre est apparu est s'est multiplié à une vitesse incomparable, surtout en France, depuis le milieu des années 90; il s'agit du courant de l'auto-biographie et de l'auto-fiction.

La bande dessinée n'a pas inventé le genre de l'auto-biographie, on le rencontrait déjà abondamment dans la littérature; Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Marguerite Duras, et aujourd'hui plus près de nous, Nelly Arcand, ce sont tous là des personnages qui ont touché à l'auto-biographie ou à l'auto-fiction. La parole autobiographique, d'ailleurs, est souvent considérée (comme dans l'art contemporain) un reflet direct de notre période post-moderne. La bande dessinée étant un médium beaucoup plus récent que la littérature, on peut dire que l'auto-biographie en bande dessinée est un phénomène relativement récent. On pourrait résumer l'autobiographie à ceci: c'est lorsque le personnage, le narrateur et l'auteur de l'histoire ne forment qu'une seule et même personne.

L'autobiographie en bande dessinée rend aussi compte d'un phénomène de synthèse de la création. Dans un domaine où le métier de scénariste était séparé de celui de dessinateur, l'auteur de l'auto-biographie est maintenant maître absolu de son "art total". On verrait mal, en effet, de voir l'autobiographie d'un auteur dessinée par quelqu'un d'autre que lui-même. Ce tendence vient du fait que le public (surtout européen) ne se contente plus d'une belle apparence en BD: le scénario, de plus en plus, prime sur la qualité du dessin (certains cas restent bien scindé: on pense au célèbre duo "dupuys-Berbérian", auteurs de la série "monsieur Jean", et de "journal d'un album", bd autobiographique). C'est un signe de la maturité du genre. D'ailleurs, un des stéréotypes de l'autobiographie en BD est que si l'auteur raconte sa vie de façon narcissique, ce sera de la mauvaise bande dessinée; plus elle tend à faire le portrait de l'auteur comme d'un looser, comme d'un névrosé ou un personnage ayant de grandes tares psychologiques, plus le récit aura tendence à se développer de façon intyrospective, plus la psychologie du personnage appelera à la sensibilité du lecteur.

En fait, le courant semble plutôt venir des bandes dessinées underground des états-unis, dans les années 70. Quelques noms importants: Robert Crumb, un très grand personnage de la BD underground, qui a publié dans les années 70 quelques BD auto-biographiques commes "mes femmes", Harvey Pekar, l'auteur de American splendor, une bande dessinée auto-biographique qui a été portée au grand écran, semble-t-il, Will Eisner, qui a créé "voyage au coeur de la tempête", et un des seuls à avoir écrit un vrai ouvrage sur la bande dessinée (autre que Scott McLoud - mais il est à noterque Scott McLoud lui-même rend un grand hommage à Will Eisner dans son traité sur la bande dessinée). Le genre a aussi touché le canada, un peu plus tard dans les années 80 et 90 (on pense au trio Chester Brown, Seth et Joe Matt - mais j'y reviendrai, inquiétez-vous pas). Ces BD sont directement issues de la veine underground des états-unis; c'est pouruqoi les thématiques touchent beaucoup celle de la sexualité, voire même de la perversion.

(petit parenthèse: c'est sûr qu'on pourrait dire que l'auto-fiction en bande dessinée est arrivée bien avant les années 70; certains vont même jusqu'à dire que des albums comme "tintin au tibet" de Hergé s'inscrit dans ce courant.)

Mais voilà qu'un jour, un type qu'on nomme Art Spiegelman, alors caricaturiste, illustrateur et auteur de bande dessinée, notamment au compte du New York Times, s'attaque à un ouvrage d'un importance primordiale dans l'histoire de la BD auto-biographique: Art raconte en bande dessinée l'histoire de son père qui a survécu au camp d'Aushwitz, pendant la 2e guerre mondiale. Art remporte plusieurs paris; premièrement, de toucher à un sujet très sérieux avec un médium qui, à l'époque, était rattaché à l'art de consommation (surtout aux états-unis, avec les comic books); deuxièment, de réussir quand même à exploiter le médium, même avec un sujet aussi sélicat (les personnages des juifs sont représentés par des souris, et celui des allemands, par des chats); troisièment, il évite de tomber dans le pathétisme, il raconte les choses comme elles sont, mais il touche beaucoup plus la dimension psychologique que l'action en tant que telle - l'action étant le principal paramètre touché en bande dessinée jusqu'ici. La bande dessinée lui vaut le prestigieux pirx Pullitzer aux états-unis, en 1992, une première pour une bande dessinée.

Le genre a fait des petits: on l'a considéré comme un renouveau lorsque celui-ci est sorti en France. Le véritable coup d'envoi a été lors de la création d'une maison d'édition, "l'association", qui regroupait un petit groupe d'auteurs de bande dessinée voulant faire autre chose que de la bande dessinée d'humour ou d'aventure. D'autres petits éditeurs ont vu le jours pendant cette décénie; je pense entre autres à Ego comme X, Atrabile. La montée de l'auto-biographie en bande dessinée peut s'expliquer par divers facteurs, que j'ai pu retrouver en grande partie sur l'excellent site de l'académie d'amiens (venez me voir après la conférence si vous voulez l'adresse complète):

. évolution des thématiques : dans un désir de reconnaissance du 9e art, le genre de l'autobiographie permet de recentrer la bande dessinée sur l'auteur, sur l'artiste, et donc sur le réel. Parler de soi, c'est parler des autres, mais aussi parler de son art et le légitimer.

. évolution du public, plus adulte.

. évolution des codes (émancipation par rapport aux codes traditionnels, renouvellement : refus des stéréotypes, des idéogrammes, du cinéma de papier et des effets spéciaux, des ruptures de perspective, des lois psychologiques (exemple : les personnages peuvent être de différentes tailles) ; la signification prime sur le réalisme, la lisibilité sur l'esthétique, ce qui entraîne une certaine sobriété et un refus de la "belle image".

 

La bande dessinée auto-biographique est donc un genre particulièrement destiné à un public adulte, dont l'histoire se déroule plus lentement que dans les bande dessinées traditionnelles européennes, et où le rythme est davantage tourné vers l'introspection et la vie quotidienne.

 

En autobiographie (que ce soit en bande dessinée ou dans tout autre médium), il y a un espèce de contrat implicite qui s'installe entre le lecteur et l'auteur: l'auteur s'engage à dire la véritém tandis que le lecteur s'engage à le croire, ou à mettre en doute - bref, d'avoir une opinion quant à l'authenticité. Cependant, détail très très important dans ce genre, la vérité n'existe pas en tant que telle; tout ce que dit l'auteur passe invariablement devant le filtre de sa subjectivité. Dès qu'un évènement est raconté, l'auteur procède à un certain choix de mots par rapport à d'autres, certaines images, certaines façons de raconter qui oriente le lecteur vers son ponit de vue. Il doit aussi faire un choix dans ce qui a à raconter; il est clair qu'on ne peut pas tout décrire, tout raconter, qu'une tonne de détails devra être mis sous silence (c'est d'autant plus vrai en bande dessinée qu'en roman; un roman de 100 pages pourrait facilement faire 500 pages en adaptation - mais encore, la comparaison est plus que délicate, car il s'agit de deux média proches, car tous les deux narratifs, mais opposés à la fois, car une image en dit bien plus long que les mots).

 

Qu'est-ce que la bande dessinée aurait de plus que la littérature? Il y a un langage des lignes qui ne se traduit pas en littérature, qui frappe tout de suite la sensibilité du lecteur, sans ce celui-ci ait à mettre des mots dessus. Par exemple, la cristallisation de certains mots donne une idée très clair sur une certaine émotion. Quand on lit dans un texte, par exemple, que telle cuisine était très sale, on s'image une cuisine avec des taches, de la vaisselle à n'en plus finir, de la bouffe renversée par terre, etc. Cependant en bande dessinée, on n'a pas le mot "sale" à mettre sur la cuisine décrite; on la dessine de la façon dont nous voulons que le lecteur la comprenne. Mais il ne s'agit pas de faire une cuisine sale; il faut que l'espace entier du dessin réponde à ce qui se passe dans la tête du personnage. La cuisine d'un personnage angoissé sera très noire, avec des traits hésitants ou doubles, beaucoup d'angles, tandis qu'un cuisine d'un eprsonnage jovial aura d'avantage tendance à être arrondie, à être décrite avec une ligne claire, etc. Ce sont tous les codes de la bande dessinée et du langage graphique qui viennent rajouter une couche supplémentaire de subjectivité au récit, une couche qui n'est pas nommée, qui est ressentie directement par la sensibilité du lecteur.

 

J'ai préparé un petit exemple pour vous. Voilà, admettez que je sois une auteure de bande dessinée autobiographique, et je souhaite raconter cet évènement: ça se passe au mois de novembre, je suis allée visiter ma soeur, et ça a fini en engueulade. Voilà la description purement objective de ce qui s'est passé (on pourrait même affirmer que choisir le terme "engueulade" plutôt qu'un autre terme met déjà de la subjectivité dans le propos, mais ce n'est qu'un détail ici).

 

Admettons que je doive expliquer en deux cases la situation initiale, qui menera plus tard à l'engueulade. J'ai un millier de façon de le faire, et c'est à la sensibilité du lecteur que j'aurai directement affaire, selon la façon avec laquelle je choisis de raconter l'évènement.

 

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1. La façon obscure. Le noir est préféré au blanc pour les urfaces, j'insiste sur le fait qu'il pleuvait cette journée-là (peut-être qu'il pleuvait même pas, mais le fait de dessiner le prélude à l'évènement ainsi insiste sur le fait que ça va mal tourner). Le personnage qui me représente n'est pas léché, il est fait à gros traits de crayons, on voit la solitude du eprsonnage sur son arrêt d'autobus. Tous ces éléments convergent vers une interprétation subjective de l'évènement - une interprétation plutôt "dark". On rencontre ce style plus noir dans certaines autobiographies obscures, comme celle de David B., celle de Xavier Mussat, et jusqu'à un certain point, celle de Marjanne Satrapi.

 

[image 2]

 

2. La façon nostalgique. Ici, l'enphase est mise sur le côté clair; le dessin est très rond, l'encrage est léché, c'est l'automne avec les feuilles qui tombent, les deux femmes se donnent des becs; c'est toujours un prélude à l'engueulade, mais on s'attend à ce que l'engueulade ici se résolve bien, ou que le personnage principal se sente coupable de l'engueulade. On s'attache aux personnages secondaires autant qu'aux personnages principaux dans ce style, on pourrait y classer le style de Michel Rabagliati - il utilise beaucoup plus de noir et d'angles, mais l'impression qui ressort du dessin est celui du bien-être.

 

[image 3]

 

3. La façon humoristique. Les traits sont exagérés, la ligne, souvent très dynamique et caricaturale. On présente ici l'évenement comme si c'était un gag - l'engueulade perdra un peu de sa lourdeur (si on compare avec le premier style présenté). Ici, j'associerais cette perspective avec l'attitude de Joe Matt, un obsédé sexuel qui raconte sa vie de looser, d'une façon plutôt humoristique, mais avec un petit je-ne-sais-quoi qui touche notre sensibilité. Je pourrais mettre aussi les deux bandes dessinées de Guy Delisle, Pyong Yang et Schenzen (j'hésite entre le trait humoristique et le trait nostalgique, surement un peu des deux; il s'Agit d'un journal qu'il tenait alors qui travaillait en chine et en corée du nord avec la main d'oeuvre bon marché pour les dessins animés; pendant que Schenzen raconte avec humour tout l'ennui et le dépaysement de Delisle à l'étranger, Pyong Yang raconte le dur constat de la vie totalitaire de la corée du Nord - une BD à la 1984, très troublante et qui sensibilise, mais en restant quand même facile à lire et amusante, dans le style très décontraacté de son auteur).

 

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4. Symbolisme 1: Un des grand avantages de la bande dessinée, c'est de toucher au symbolisme en image. Dans cet exemple-ci, on voit l'illustration du mois de novembre avec un personnage eprdu dans un expace blanc. On met l'emphase sur la solitude du personnage. Dans la deuxième case, qui raconte que je suis allée voir ma soeur, on rajoute avec le même code, c'est-à-dire la distance qui séparent les deux personnages qui flottent dans le vide, qui se voient mais qui sont à 10 000 années lumières. On comprend par cette métaphore que les deux personnages sont très distants. Un bon exemple de ceci est probablement l'intégralité de l'album de chris Ware, "Jimmy Corrigan, the smartest kid on earth". Le dialogue est tellement épuré, les dessins tellements géométriques, l'action tellement lente, qu'il en ressort un sentiment d'inquiétante étrangeté et de malsain du début à la fin. à noter, il s'agit davantage d'une auto-fiction que d'une autobiographie.

 

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5. Symbolisme 2: ce symbolisme (que j'ai tenté avec grand mal de reproduire), se présente beaucoup plus dans les bande dessinées underground. Il s'agit de genre plastiquement l'émotion vécue par le personnage. Il est clair que dans la vraie vie, je n'était pas par terre avec plein de ligne au-dessu de moi, et que ma soeur n'était par debout et gigantesque; il s'agit qu'un élan graphique, qui vise à faire passer l'émotion (ici de domination) avec de simples traits de crayons. Dans Maus, de Spiegelman, se trouve un deux page de bande dessinée auderground qu'il avait lui-même fait avant de publier Maus, dans lequel se trouve des bons exemples de graphisme qui appuie fortement l'émotion étranglante du court récit - où il raconte le suicide de sa mère - ou bien dans Daddy's Girl, sur l'inceste, qui garde une esthétique plutôt undergound, idéale pour un sujet aussi lourd.

 

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6. Symbolisme 3: on peut se servir d'images carrément autre, une métaphore littérale, pour exprimer l'idée de l'évènement. Ici, un pion qui rencontre une reine sur un damier d'échec. Il y a plusieurs exemples d'intertextualité dans les bandes dessinées autobiographiques, souvent très subtiles (et pas seulement dans l'autobiographie, mais dans la bande dessinée en générale). Ces métaphores peuvent donner une vision très précise d'une situation, mais sans toutefois la nommer. David B. Utilise beaucoup ce genre de métaphore dans "l'ascention du haut-mal". Il décrit souvent la maladie de son frère (l'épilepsie) avec un monstre qui ressemble à un dragon.

 

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7. Le post-évènement: Bien entendu, on peut choisir de raconter l'évènement, mais rien n'empêche de le relever une fois qu'il est accompli. On joue ici avec l'ellipse, avec ce qui se passe entre les cases, ou ici, ce qui se passe entre les chapitres. Du point de vue graphique, on exprime la colère du personnage avec un élément secondaire, la tasse qui se faire briser sur un mur. On rend donc compte de l'état psychologique du personnage après que l'évènement se soit passé. L'évènement en question devient donc implicite au lecteur, cette façon de raconter devient alors plus près de la littérature.

 

Encore ici, je n'essaie pas de catégoriser les bande dessinées que j'ai présentées ici; ce n'était qu'un petit exercice pour bien démontrer la subjectivité qui se dégage automatiquement de tout récit autobiographique. Dès que le crayon touche le papier, un choix s'impose sur la façon dont l'évènement sera reçu par le lecteur. La subjectivité s'impose surtout par le graphisme, et le réalisme, surtout par la trame narrative.

 

Pour tout ce qui concerne les spécificités qui concerne le média qu'est la bande dessinée, je recommande fortement le livre "l'art invisible " (ou en anglais: understanding comics) de Scott McLoud. l'auteur se dessine lui-même en train d'expliquer mille facettes de la bande dessinée, ce livre consittue (pour les lecteurs quant que les euteurs) une véritable bible pour le média.

 

Je terminerais sur une petite citation lue dans la préface de l'album de Frédéric Boilet, "Mariko Parade", qui définit bien le courant autobiographique des dernières années: "il n'y a pas d'action, pas de grands évènements, juste le temps qui s'écoule, et pourtant, on quitte le livre avec un poids sur le coeur, presque une souffrance..." Il n'est pas toujours question de souffrance dans les bd autobiographiques, mais le but premier sera toujours de toucher le lecteur, de tenter d'atteindre sa sensibilité, de chercher le lecteur dans ce qu'il peut lui-même vivre.

 

http://www.ac-amiens.fr/etablissements/0600040t/BD/bdautob.htm
(celui là ++)

http://etc.dal.ca/belphegor/vol4_no1/articles/04_01_Baeten_autobd_fr_cont.html
(yeah)

http://www.shef.ac.uk/ibds/leicester2003.htm

de mal en pis
http://www.bdangouleme.com/actualites/index.ideal?action=consulter&id=788

http://www.ifrance.com/plg/pages/numeros/n33int.htm

http://oeil.electrique.free.fr/chronique.php?numero=27&articleid=110&rubrique=4livres

http://www.bdparadisio.com/Dossiers/themabd/fembd/fembd.htm (femmes)

http://www.5c.be/textes/precisbd.htm (mode d'emploi)

http://www.parisetudiant.com/loisirs/article.php?article=351

http://www4.ac-lille.fr/~lp-lettres/LHG/11/112/1122/larat/laratbio.htm

http://www.bdparadisio.com/intervw/pinelli/intpinel.htm

http://www.bdparadisio.com/intervw/davidb/intdavid.htm

http://www.bdselection.com/php/index.php?rub=page_dos&id_dossier=179

http://www.bdselection.com/php/index.php?rub=page_dos&id_dossier=183