|
Albert2
Ou comment exploiter les idées qu'on a jamais exploité
J'avais eu cette idée de bande dessinée un jour... Et puis... je l'ai réutilisé dans mon travail de demie-session en création littéraire. La prof a adoré le texte, mais elle trouvait que la première version ressemblait trop à la deuxième. C'est que j'ai fait la 2e avant de faire la 1ere. J'ai tout écrit à peine 10 heures avant la remise, c'est à dire à 22h le soir lorsque le cours commençait le lendemain à 8h... Il y a pas mal d'éléments faibles, j'en suis consciente, mais tant pis...
Pourquoi mettre le feu à sa maison?
____Il était très brave, c'était probablement l'homme le plus brave de toute la caserne. Il avait raflé plusieurs honneurs parce qu'il avait sauvé plusieurs personnes des incendies. C'était lui le meilleur pompier. Il avait toujours été capable de sauver des vies, et ce dès ses premières années au sein de sa caserne, il y avait de cela 26 ans.
____Mais il ne travaillait que quatre jours par semaine. Le reste du temps, il s'ennuyait. Ce matin là, il s'était levé plus tôt tard parce qu'il ne voulait pas voir sa femme. Elle devait se lever de bonne heure pour aller travailler dans un petit hôpital de quartier. Elle était belle, mais vraiment idiote. Elle représentait, d'une certaine façon, la vie qu'Albert avait toujours souhaité de pas avoir. Il la sentait indigne de lui.
____Parce qu'Albert était brillant. Il l'était étonnamment, même. Lorsqu'il était jeune, ses parents le traitait comme un étranger. Jamais ils ne le réprimandaient où ne l'encourageaient à l'étude. D'ailleurs, ses parents ne se parlaient que rarement entre eux. Ils préféraient la lecture à la communication. Cependant, Albert était un enfant très intelligent. Il apprit la vie en parfait autodidacte, avec succès. Et il devint pompier.
____Il devint pompier et se maria ensuite. Pourquoi? Lui-même ne le sait pas. Il eut deux petites filles mignonnes, mais il n'aimait pas les enfants. Mis à part son travail, la vie d'Albert était pathétique. Plus pathétique encore parce qu'il ne faisait rien pour la changer, et encore pire, il semblait vouloir nier qu'il détestait sa vie. Il n'en ressentait tout simplement pas le besoin.
____Ce matin-là, donc, il se leva plutôt tard. C'était un vendredi. Il ouvrit un tiroir de sa commode pour y sortir une chemise blanche, parmi toutes les autres chemises blanches. Albert aimait bien celle-ci qu'il avait entre les mains. Elle avait une petite poche rectangulaire sur la poitrine, contrairement à toutes les autres. Il prit soin, aussi, d'enfiler une paire de pantalons noirs sans faire aucun plis et sortit de la chambre à coucher, sans faire le lit, parce que ça ne lui plaisait pas et que sa femme n'était pas là pour le lui demander.
____En descendant les escaliers, il croisait toujours des yeux cet abominable portrait de famille, qui fut immortalisé par un photographe bon marché pendant le temps des fêtes d'il y a quelques années. Rien de vraiment extraordinaire ne se détachait du portrait, et c'était justement là la catastrophe. Albert était sans doute quelqu'un d'extraordinaire, mais il avait des habitudes, une famille et une vie très ordinaires (du moins, si on excepte ses heures de travail). Ainsi sur le portrait il se tenait droit en faisant semblant d'être fier de sa femme idiote et de ses deux filles chiantes. Albert ne laissait jamais ses yeux reposer sur la cadre trop longtemps. Il se rendit dans la cuisine.
____La cuisine était bleue. Elle était pavée d'un prélart bleu royal, d'un frigidaire bleu pâle, d'un comptoir bleu poudre ainsi que d'une table de cuisine bleu ciel avec les chaises assorties, bleues marines. Ce furent autrefois les choix de décoration de sa femme. Mais il n'y voyait pas de problème. Certes, il aurait préféré des couleurs chaudes et intenses, mais il n'avait pas la témérité de protester contre le choix de couleur. De toute façon, il ne se sentait pas chez lui. Cette maison était son logis mais il n'y partageait aucun sentiment d'appartenance. Son vrai chez lui, c'était à la caserne.
____Quand il était à la caserne, il flamboyait. C'était lui, le héros. Son casier était rouge tout comme son casque, son beau casque tout rouge qui caressait si bien sa tête plein de prestige et d'éclat qu'il s'en sentait plus grand d'un demi-pied. Mais encore, la caserne n'était pas son endroit favoris. De tous les endroits, celui qu'il préférait, c'était les flammes.
____Avec les années, il avait compris que dans le feu, les lois n'existent plus. Tout est donc permis. On peut défoncer des murs, on peut se débattre, on peut crier, on peut courir, on peut pleurer. On peut tout faire dans les flammes, tout faire ce que l'on ne peut pas faire dans une vie en société. On peut absolument tout faire, tout système de règle tombe et toute morale est totalement anéantie. On peut voler une propriété tant qu'on en neutralise l'incendie. Une peut violer une femme tant qu'on lui sauve la vie des flammes. On peut aussi tuer… On a le contrôle sur qui mérite la vie ou qui ne la mérite pas.
____Albert se versa un verre de whisky sur glace. Il aimait la chaleur intense de l'alcool qui dégringolait dans sa gorge toute froide. Cela faisait un bon mois qu'il n'y avait pas eu d'incendie dans le quartier. C'était du jamais vu. C'était aussi catastrophique. Albert n'en pouvait plus. Il était comme bloqué, incapable de vivre de façon satisfaisante, de s'épanouir entre sa femme idiote et ses enfants chiants. Il commença donc à boire.
____Il arrêterait lorsque le prochain feu se déclarerait.