Le sens du temps a vraiment changé depuis que j'ai une petite fille. Tout prend vraiment plus de temps, les choses sont souvent interrompues. Déjà, je me lève à 6h30 à chaque matin, ce qui est pas mal une première dans ma vie. Même quand j'allais à la petite école, je ne me levais pas si tôt. J'ai beaucoup de mal!!! L'énergie du matin est vraiment cool par exemple, j'ai l'impression d'être un peu plus focus et d'avoir un peu plus de drive.
En revanche, l'après-midi, je suis chaos. Souvent après le dîner je ne retravaille même pas parce que je suis trop fatiguée. Je fais une petite tâche ou je finis le truc que j'ai commencé le matin, puis pouf je vais me coucher. Et à 15h45 paf il faut sortir chercher Zoé à la garderie. À partir de ce moment-là, c'est non-stop jusqu'au dodo, vers 20h. Et le soir après le dodo, je m'occupe de trucs de la maison - lavage, pliage, changer une ampoule, dégeler le poulet pour demain, des fois écouter la télé.... hahaha j'ai jamais fait ça avant! Je voudrais bien écouter des films, mais c'est difficile de regarder quelque chose qui prend plus qu'une heure parce que vers 9h30, je commence à aller me coucher. Zoé se réveille encore pendant la nuit et je dois encore gérer mon manque de sommeil.
Et le lendemain le cycle recommence. C'est ça qui est spécial, en fait, avec la nouvelle vie: le cycle est répétitif et régulier, je n'ai jamais eu une routine aussi constante. Dernièrement j'étais en avance sur mon film, alors j'ai pu prendre des journées où tout ce que je faisais en matinée c'était prendre des longues marches à montréal (et revenir pour 14h pour faire une sieste, goddamit je suis siiiiii fatiguée), mais il y a toujours la contrainte de "ta liberté finit à 15h45", ce qui est très tôt dans une journée. Je ne vais plus au cinéma, par exemple. Je ne sors plus le soir, ou en tout cas pas mal moins qu'avant.
Je sonne un peu comme si à partir de 15h45 c'était un calvaire, et c'est complètement faux!! Zoé est une enfant vraiment le fun!!! Aller la chercher à la gaerderie c'est un plaisir, et voir un enfant grandir c'est hallucinant! À chaque semaine (des fois à chaque jour!) il y a quelque chose de nouveau. Hier je l'ai entendu dire "oui" pour la première fois, j'étais genre WOW! Elle a aussi commencé à faire le son des animaux, et chose amusante, elle est bilingue!! Je lui demande "qu'est-ce qu'il fait le chat?" et Camilo lui demande "Como hace el gato?" et dans les deux cas elle comprend et répond????? Son agilité grandissante aussi, le nombre de choses qu'elle commence subitement à être capable de faire... en ce moment elle commence aussi à imiter les mots qu'on dit, à répéter après nous. Sa toune préférée c'est une toune de la soundtrack de Godzilla minus one!! Et elle est capable de chanter les trois premières notes, my god!!!! hahah je me lis et je le vois bien que vu que l'extérieur, ça a l'air banal. Mais quand on est toujours avec elle, quand c'est sur une ligne de temps qui s'étire sur le quotidien, les leaps sont vraiment des chocs.
Donc bref je vis des moments super, et on essaie de plus en plus de la faire sortir de la maison aussi, elle adore les gens (ça m'épate) et aussi découvrir des nouveaux lieux, c'est vraiment une fillette qui a pas peur, très souriante aussi! Je commence à voir sa personnalité et je la trouve déjà cool.
Mais voilà, des moments où je suis vraiment libre d'aller où je veux, d'être seule et de faire ce que je veux, c'est rendu pas mal plus rare. C'est principalement ça le gros gros gros gros changement. Faut dire que j'étais assez gâtée avant qu'elle naisse, vu que j'ai pas un boulot normal, j'avais pas de boss, pas d'horaire, j'étais pas mal plus libre que la moyenne des gens, donc peut-être que le contraste a été plus brutal.
J'ai été assez morose cet hiver... je me suis entendu dire des choses meh, je me trouvais laide, je me sens aussi au milieu de nulle part, avec ce changement de carrière et ce changement de nom. Je quitte un milieu que j'adore, la BD, pour entrer dans un milieu où je ne me sens pas à ma place, le cinéma.
J'ai reçu une sub pour développer un dessin animé, et j'avais aussi terminé un petit court animé appelé Croûte-mousse l'année dernière, que j'ai envoyé dans une couple de festivals. Il s'est fait refusé partout à l'extérieur du canada, mais ici il a déjà été programmé deux fois, j'attends d'autres réponses. Ça fait deux fois que j'ai une première de film dans un festival, et je suis pas sûre d'aimer ça. Dans un festival de BD, c'est tellement cool parce que t'as fait quelque chose, les gens vont le lire pendant que t'es pas là, et après ils font la file pour te voir un à un et te donner de l'amour. C'est fou! Et tu gagnes 10% de chaque livre vendu aussi, c'est petit mais c'est pas rien!
Dans les festivals de cinéma, les gens se tiennent plus en gang, c'est moins plein d'individus solos comme en BD. Ce sont des groupes, qui restent ensemble. Donc, j'ai un court-métrage, il est projeté en 3e dans un programme de 6 courts-métrages, et il y a 5 programmes. Le film joue, tout le monde le voit livre devant mes yeux, j'entends le monde rire à des endroits que j'avais pas prévu, là où je pense que ça va réagir, il ne se passe rien... c'est vraiment bizarre comme expérience, d'autant plus que vu que je regarde l'écran, je ne fais qu'entendre leur réaction, je ne la vois pas. Le film finit, les gens applaudissent, le suivant enchaîne. Et quand le programme est finit, les lumières ouvrent, les gens commencent à se lever pour sortir de la salle, et c'est à ce mment-là que je ressens un sentiment de solitude vraiment intense!! Tout ça pour ça?... les petits groupes se reforment pour sortir en petites gangs, pis c'est ça, c'est fini. Si je suis chanceuse, 1 ou 2 personnes pas trop gênées viennnt me voir pour me dire qu'ils ont aimé.... pis voilà. Je retourne dans ma chambre d'hotel et je vais me coucher. Ou bien je vais au party et je ne connais personne, et j'essaie de danser sur de la musique average.
En BD le monde savent je suis qui (en tout cas au Québec), et en cinéma, je suis une nobody. Ça aussi ça change beaucoup de chose. J'ai décidé de changer de nom parce que je recherchais ça. Je voulais redevenir anonyme. Et je goûte à cet anonymat et je l'aime vraiment. Je trouve ça difficile de me promener au festival de BD de Montréal, de checker les fanzines, de voir les jeunes auteurs qui me reconnaissent, et après je quitte leur table sans acheter leur zine. La dernière édition du festival, je suis même pas allée checker parce que je trouvais ça trop lourd. C'est le fun, d'être n'importe qui, un point dans la masse d'égal intérêt aux autres inconnus. Des fois je pense à ça et je me dis que c'est peut-être ça que tu aimerais dans ta transition, c'est-à-dire te rendre à un point ou tu te fais juste traiter comme tout le monde, comme une femme cis ordinaire, que t'arrives en quelque sorte à passer inaperçu, sans la grosse étiquette jaune fluo "TRANS" dans ton front. Est-ce que c'est ça?
En tout cas, en changeant de nom, je voulais faire un RESET et redevenir personne. Ça a à peu près marché. Des fois je rencontre des gens qui me reconnaissent et m'appelent Zviane. Mais jusqu'ici ça arrive peu.
Dans les quelques festivals où je suis allée (parce que c'est ça le but ultime dans les yeux des subventionneurs: gagner des prix dans des festivals. C'est le circuit régulier d'un film qui reçoit de l'argent public. Ils ne considèrent pas la diffusion sur Internet, pas du tout. Ça me sidère complètement.), bref dans les festivals où je suis allée, qu'un de mes films soit projeté ou pas, la grosse majorité du temps je me sens sentie comme un chien dans un jeu de quilles. J'avais pas rapport du tout. "C'est pas ma crowd..." Jusqu'à ce que j'aille au festival d'animation d'ottawa, où là je me suis dit: "han, peut-être qu'elle est là, ma crowd". Le monde d'animation est peut-être plus proche du monde de BD en fait. C'est plus artisanal, un peu plus solitaire. Un peu plus autiste, aussi. Je m'y sens plus à ma place. Mais peut-être que j'ai pensé ça juste parce que j'y suis allée non pas seule, mais avec une petite gang d'amis? C'est peut-être ça la façon d'apprécier un festival de films, il faut y aller en gang?? Mais je suis fondamentalement une loner!!.
À Chicoutimi, j'ai demandé à une amie de m'accompagner à la projection de Croûte-mousse, et elle a amenée une amie. Je voulais avoir une petite "gang". Mais ça a pas marché, même accompagnée, le sentiment de solitude était pas mal le même que ya deux ans.
C'est drôle, j'ai passé un mois d'angoisse avant chicoutimi parce que je me demandais ce que j'allais porter. Ça a l'air d'être une question un peu superficielle, mais pour moi on dirait qu'en ce moment, ça a une réelle importance, parce que je suis en train tranquillement de découvrir c'est qui, badminon plus, et je me demande dans quelle direction que ça ira. Je ne peux pas être exactement la même personne que Zviane, étant donné que je ne côtoie pas les mêmes personnes. Je suis pas mal perméable aux gens qui m'entourent, donc c'est sûr que je suis différente. Qui suis-je?? Je suis fondamentalement marginale, mais est-ce que je veux AVOIR L'AIR marginale? hahah ouin cette année j'ai décidé d'y aller en noir, comme s'il fallait que je me fonde dans la masse. Ça n'a pas été un festival très fructueux côté rencontre. Au prochain festival, je ne suis pas sûre quel sera mon mindset. Peut-être juste casual-cargo, y aller plus "travailleuse" plutôt que d'y aller "glamour"? C'est drôle, parce qu'au festival de BD de montréal, ou encore plus radical: au TCAF, je peux porter un costume de pompons et de couleurs flash avec des bottes à motif de vache et je sors pas mal moins du lot. Parce que plein de gens se déguisent. Surtout à Tcaf, le festival de BD de Toronto, j'adore y aller parce que tant chez les exposants que chez les visiteurs, c'est très très coloré, ya des punks, des goths, des queers, des lolitas, la palette de styles et d'excentricité est assez large. Dans les festivals de films, c'est pas mal, pas mal plus conservateur....
Mais pourquoi est-ce que je donne tant d'importance à ça?? Il me semble que mon film projeté est plus important que ce que je pourrais porter comme vêtements????? C'est l'instabilité qui me déstabilise (gn!), c'est l'inconnu en quelque sorte. Je me sens un peu perdue. Comme si je savais plus à quoi me rattacher. Je sais pas trop qui je suis. Le fait que je change de carrière et en plus de nom, c'était un move pas mal plus radical que ce à quoi je m'attendais.
Mais c'est ce que je voulais! Je voulais partir à zéro. Je me rappelle être repartie à zéro en 2010 quand j'ai lâché la musique pour faire de la BD à temps plein, et j'étais en grosse dépression, no wonder! Je vis une espèce de deuil, en plus du deuil de ma vie de pas-maman. Faque ouf! Je vis des choses lourdes un peu, sur le plan très personnel et très individuel.
Mais pourtant, tout va bien. J'aime ma famille. J'adore comment ça se passe avec ma petite fille et mon chum. Les choses vont bien, j'arrive à payer mon loyer et ma bouffe, j'arrive à travailler sur un projet de film, j'ai le vent dans les voiles, sur ce plan ça va très très bien. Donc voilà, temps de profonds changements, temps d'adaptation, temps d'instabilité et de nombreux inconforts. Mais ce ne sont que des inconforts. Je me dis qu'il faut juste que je sois patiente, que les choses sont en train d'être construites.